Yannick Boucher, Chef du service Économie La Voix du Nord

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Yannick Boucher

« Globalement, l’économie régionale va mieux… sans que la croissance retrouvée ne sache toujours garantir l’emploi »

« On a retrouvé un investissement productif, permettant une modernisation de l’outil de travail et une amélioration des capacités de production. »

« De nombreux métiers, qui seront présents dans 10 ans, ne sont pas encore connus »

La santé de l’économie compte pour chacun d’entre nous. Chef du service Economie à La Voix du Nord depuis 2005, Yannick Boucher nous livre quelques réflexions sur la conjoncture de notre région : ses atouts, ses faiblesses, ses perspectives. Observateur privilégié de par ses fonctions, et reconnu de par ses compétences, il a accepté de répondre avec clarté aux questions d’Entreprise & Santé. Nous le remercions chaleureusement, d’autant plus que son regard est particulièrement averti. Il nous apporte une vision d’ensemble très synthétique.

E&S: Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la conjoncture économique des Hauts-de-France ?

Yannick Boucher : Globalement, l’économie régionale va mieux, sans que la croissance retrouvée ne sache toujours garantir l’emploi. On a retrouvé un investissement productif qui reste soutenu en 2018 à + 7,3 , permettant une modernisation de l’outil de travail et une amélioration des capacités de production. Par ailleurs, le crédit suit. Que ce soit le crédit à la consommation, + 8, le crédit aux entreprises, + 7,5%, et le crédit immobilier, + 5%. Cela soutient le niveau d’activité, notamment pour les petites et moyennes entreprises. Il y a eu un trou d’air au printemps 2018, mais la situation s’est améliorée pour ce début d’année. D’où une activité globalement satisfaisante pour les services, l’industrie et le bâtiment. Les URSSAF ont pointé 200 000 créations nettes d’emploi en 2018. Mais le taux de chômage régional reste au-dessus de la moyenne nationale avec 10,6 % en Picardie et 11,6 dans le Nord-Pas-de-Calais. De nombreux chefs d’entreprises partagent une projection plutôt optimiste, en l’absence de déconvenue majeure. Autres indicateurs : les programmations d’implantations, notamment logistiques, et la promotion immobilière, très dynamique pour le tertiaire. Cependant, les Hauts-de-France ont une particularité : 80 % des investissements immobiliers tertiaires concernent Lille Métropole, sans rayonnement sur l’ensemble du territoire régional. Il persiste des disparités territoriales très fortes.

E&S: Que dire du tissu économique ?

Yannick Boucher : Le tissu productif relève encore de gros établissements et la région manque de Recherche et Développement. Les gros établissements, qui ont une véritable culture du salariat, n’accompagnent pas les ETI, entreprises de taille intermédiaires, les PME ou les TPE. Et nous manquons d’entreprises de taille intermédiaire, qui sont au nombre de 150 environ. Les grandes entreprises ne les associent pas dans leurs propres démarches d’export ou de conquêtes de nouveaux marchés. Par rapport à d’autres régions, c’est une caractéristique des Hauts-de-France. Par ailleurs, la crise de 2008 laisse des traces. Ces cinq ou trois dernières années, les TPE ont peu investi, par défaut de visibilité et de confiance. La création d’entreprises artisanales reste faible par rapport à la moyenne nationale. On manque d’entrepreneurs : l’esprit d’entreprise apparaît encore plus faible que dans d’autres régions comparables, même s’il faut nuancer selon les secteurs et les territoires. Nous sommes également sous influence d’une croissance de 1,5 à 1,6 %, qui est trop molle pour créer des emplois. Ceci impacte les petits commerces et les artisans, pourtant en prise directe avec les consommateurs et le public.

E&S: Quels sont les principales faiblesses des Hauts-de-France ?

Yannick Boucher : Le manque de Recherche et Développement est criant, d’où une insuffisance d’innovations. En recherche fondamentale, la région n’a rien à envier à d’autres régions. En recherche appliquée, il n’en est pas de même. On est moins bon. En deuxième lieu, nous sommes encore une région en perte d’emploi industriel. Et cela va se poursuivre… Dans le privé, un emploi sur cinq relève du secteur industriel. Depuis 15 ans, nous perdons 2 000 à 3 000 emplois industriels par an. Dans ce secteur, nous dépendons de grands établissements. Que ce soit dans l’automobile, la sidérurgie, l’agroalimentaire, nous ne sommes pas à l’abri de décisions défavorables.

E&S: Quels sont les principaux atouts des Hauts-de-France ?

Yannick Boucher : La situation géographique, bien sûr. Avec tous les flux qui traversent la région. Le littoral en est un exemple emblématique : les ports de Boulogne-Calais entrent dans un dynamique positive, tandis que Dunkerque a battu tous les records en 2018, notamment en trafic de containers. Des secteurs porteurs sont présents. L’automobile avec les bons modèles dans les bonnes usines. La soustraitance industrielle avec du travail qui peut être donné par de grands donneurs d’ordre. Le commerce, qui se renouvelle avec le développement du e-commerce. Il nous faut rester leader. Des secteurs émergents sont là : la bio-santé, les neurosciences, le numérique. Nous avons de nombreux sites et pôles d’excellence car nous savons accompagner les entreprises innovantes, avec une pratique historique de la gouvernance partagée entre les collectivités territoriales et les chambres consulaires. Bien sûr entre le Conseil Régional et la CCI Hauts-de-France. Mais aussi, et c’est très important, au sein des différents territoires.

E&S: La responsabilité sociale des entreprises et l’entreprise citoyenne constituent-elles des mouvements de fond ?

Yannick Boucher : Oui. Ce sont des mouvements de fond, avec des effets de mode sur quelques tendances. La mobilité douce constitue un mouvement porteur. Les neurosciences, l’industrie cognitive, l’intelligence artificielle, la bio-santé constituent des secteurs ou notre région apporte une plus-value en établissant des liens avec les réflexions éthiques. Cela s’explique par l’histoire. Notre région a vu naître le 1% logement, le logement social, l’apprentissage, etc. Ceci constitue une base solide et légitime. Cette capacité s’illustre, par exemple, par le World Forum, qui se réunit chaque année en octobre. Egalement, par le réseau Alliance, qui réunit 250 entreprises qui intègrent bien-être des salariés, préservation de l’environnement et équité sociale. Des entrepreneurs citoyens apparaissent : ils créent ou développent leur entreprise en soutenant une cause d’utilité sociale. Ce n’est pas un hasard si la 3e Révolution Industrielle, conceptualisée par Jérémy Rifkin, a vu le jour dans notre région. Et se prolonge aujourd’hui avec REV 3, qui constitue une véritable stratégie de développement pour les Hauts-de-France et impacte tous les territoires.

L’environnement est-il une mode ?

Yannick Boucher : La prise en compte de l’environnement est une évolution incontournable. Dans notre région, particulièrement. Une économie de la réparation se développe ! Réparation des dégâts environnementaux, de la biodiversité et des espaces naturels. Sur ces critères, notre région est la dernière au classement national… Cela a une conséquence sur son attractivité. Le marché du recyclage est porteur, avec le développement de véritables filières. L’économie circulaire commence à intéresser tous les industriels de la région. Elle valorise le recyclage et le réemploi des matières premières. Elle est porteuse de résultats concrets sur la gestion des minéraux, par exemple. Elle est source de valeur ajoutée. Grâce à elle, les sidérurgistes gagnent de l’argent et résolvent des problèmes de stockage. Associée à l’énergie renouvelable, la numérisation, la connexion, le zéro carbone, la sobriété énergétique, cette économie circulaire apporte une vision stratégique indéniable pour les années 2050. Certes, avec des différences selonles secteurs. Mais avec une pression très forte et incontournable des consommateurs.

Et que dire du numérique ?

Yannick Boucher : C’est un sujet capital. L’avenir passe par le numérique, autant au sein de la société et de nos modes de vie, que des activités économiques et de nos modes de travail. Avec une donne incontournable : de nombreux métiers, qui seront présents dans 10 ans, ne sont pas encore connus… Et une question de fond : quelles sont les compétences qui n’existent pas aujourd’hui ? Cela impliquera des reconversions, grâce à la formation professionnelle et l’apprentissage. Notre région a d’indéniables atouts tant pour le développement d’activités numériques, que pour l’accompagnement en matière de formation initiale et continue. L’avenir dira si nous avons réussi ce rendez-vous !

À lire : Hors-série La Voix du Nord, disponible en kiosque. Décembre 2018. Clairement et abondamment illustré, ce fascicule livre une mine d’informations sur la conjoncture économique et sociale de la région, sous forme d’articles courts et précis. Puis, il apporte un éclairage, secteur d’activité par secteur d’activité.

Les Hauts-de-France…

• 6 millions d’habitants, soit 9,4 % de la population française.
• 8 % du PIB national, soit 160 millions d’euros de produits intérieurs bruts.
• Taux de chômage supérieur à la moyenne nationale : 10, 6 % en Picardie et 11,6 % en Nord-Pas-de-Calais.
• 2,2 millions d’emplois.
• 235 000 entreprises du secteur marchand, dont 97 % ont leur siège dans la région.
• 300 000 emplois industriels.
• 2e rang français en matière d’investissement étranger, après l’ Île-de -France.

BIOGRAPHIE EXPRESS
Yannick Boucher

Chef du service économique de La Voix du Nord depuis 2005, Yannick Boucher a une formation initiale acquise à l’université de Lille II : Master de Droit public, DEA en Affaires politiques, Licence d’histoire. Yannick Boucher est également chargé des questions d’environnement au sein de la rédaction régionale de La Voix du Nord. Son début de carrière à La Chronique du Nord-Pas-de-Calais l’a très vite plongé dans le monde économique. Au fil des ans, il en est devenu un observateur privilégié, en gardant son oeil d’historien. Après plusieurs années au sein de NEP TV, et une pratique du reportage radio pendant 8 ans, il se spécialise en presse écrite, au sein du Groupe Voix du Nord. Yannick Boucher intervient comme enseignant à Sciences Po Lille ; il a été intervenant à l’IEP de Lille, l’Ecole Supérieure de Journalisme et IFCOM Lille.

(Publié dans le N°45 : Manutentions: portez-moi bien !) le 25/01/2019

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