Exosquelettes: ENTRETIEN CROISE, Y CROIRE ET ACHETER?

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manutention Les exosquelettes arrivent en entreprise. De quelques centaines d’euros à plusieurs dizaines de milliers d’euros, l’investissement doit être réfléchi. Le risque majeur est qu’il ne soit pas utilisé, car non utilisable en situation réelle de travail ! Pour nous éclairer, Delphine Baras, ergonome à l’ASTAV (Santé au travail de Valenciennes) et Laurence Samain, ergonome à MTA (Médecine du travail de l’Aisne) répondent à nos questions. Leurs expériences, acquises au sein des entreprises, sont très précieuses.

E&S Faut-il croire aux exosquelettes ? En avez-vous rencontré ?

Delphine Baras : Il faut bien distinguer, d’une part, les exosquelettes « actifs », et, d’autre part, ceux qui sont « passifs ». Les premiers ont une électronique importée. Les seconds sont purement mécaniques, à l’exemple de gilets ou harnais sans motorisation. Incontestablement, ils arrivent en entreprise. L’exemple emblématique est l’Exopush, conçu et développé par Colas et la Start up RB3D. Après une phase de tests en situation réelle de travail associant les salariés, Colas a décidé de les déployer sur l’ensemble de ses chantiers au niveau national. De fait, l’offre aux entreprises est déjà là : de quelques centaines d’euros pour un exosquelette passif à plusieurs milliers d’euros pour des exosquelettes actifs, bourrés d’électronique. C’est l’avenir dans le monde des entreprises, notamment dans l’industrie et le BTP. Mais aussi, dans le monde médical, visà- vis des handicapés moteurs. On peut donc y croire, mais avec des bémols. La grande majorité des exosquelettes est encore en phase de test.

Laurence Samain : J’ai envie de dire : Oui et non ! Non, parce que nous en voyons très peu en entreprise. Oui, car ils arrivent : c’est incontestable… La littérature scientifique permet de situer leur efficacité. Par exemple, des auteurs constatent qu’ils réduisent la contrainte musculo-squelettique en diminuant l’effort des muscles lombaires sur une action verticale : de 10 à 40 % pour des exosquelettes non robotisés et de 30 à 60 % pour des exosquelettes robotisés. Attention : si l’exosquelette est relié à un point fixe, toutes les contraintes sont transmises à l’extérieur du corps ; si l’exosquelette n’est pas relié à un point fixe, les contraintes sont transmises à un point du corps de l’opérateur. Les exosquelettes constitueraient donc un moyen efficace, par exemple, pour réduire la force et l’intensité de compressions lombaires et diminuer le travail musculaire nécessaire à maintenir une posture statique. Mais il faut faire très attention à la raideur du système, qui contrarie cette efficacité.
Par ailleurs, l’exosquelette peut entraîner des changements posturaux, notamment au niveau des genoux lors de la flexion du dos. Au niveau du membre supérieur, les dispositifs épaule-bras pourraient entrainer des risques musculaires supplémentaires et de perturbation des mouvements. Les connaissances scientifiques portant sur l’efficacité des exosquelettes doivent être approfondies. Mais cela semble prometteur ! Et on peut donc y croire.

E&S Est-ce « LA » solution pour la pénibilité ?

Delphine Baras : Ce n’est pas « LA » solution. C’est une solution éventuelle. Les entreprises se doivent d’être vigilantes. Il ne faut pas aller directement vers l’achat d’un exosquelette en pensant qu’il va tout résoudre ! Il faut toujours analyser la situation et ouvrir plusieurs hypothèses, avant de faire un achat qui risque d’être un échec. J’ai déjà vu des exosquelettes qui restent aux porte-manteaux.

Laurence Samain : Oui, effectivement ! Les exosquelettes ne constituent pas « LA » solution miracle pour lutter contre la pénibilité. Les principes généraux de prévention restent d’actualité, avec ou sans exosquelette. Il faut bien valider les conséquences de l’exosquelette sur l’activité physique et mentale. En faisant attention à l’activité statique contraignante, dans le maintien d’une posture au cours des tâches. Tout cela doit être validé, au sein de l’entreprise et au regard des situations réelles de travail, en associant les opérateurs.

E&S Comment choisir ? Comment mettre en place ?

Delphine Baras : En premier lieu, l’analyse de l’activité est effectivement incontournable. L’exosquelette ne peut pas arriver dans un espace et un poste de travail non aménagés pour lui, et avec une organisation identique. Car il va faire bouger toutes les lignes ! J’ai accompagné une entreprise de logistique, sur les postes de préparateurs de commande : l’achat direct d’exosquelettes a été un fiasco, car il n’y avait pas eu de réflexion préalable avec les salariés. Les contraintes à l’utilisation l’ont emporté. En effet, on ne peut pas appliquer dans une entreprise quelque chose qui a été vu ailleurs. Chaque usage a ses particularités. Par exemple, la configuration des locaux et l’aménagement du poste. Associer le salarié est essentiel. Car l’exosquelette peut créer des changements négatifs : son poids, ses frottements sur la peau, ses serrages gênants. Comme un vêtement, il doit être adapté à la morphologie de chacun. Très concrètement, il doit pouvoir se porter et s’enlever facilement, ne serait ce que pour aller aux toilettes… Si l’exosquelette ne fonctionne pas bien, il ne sera pas utilisé.

Laurence Samain : La démarche d’intégration de l’exosquelette dans l’entreprise conditionne son échec ou son succès. Il faut associer les salariés et les responsables de proximité, avec, le cas échéant, les représentants du personnel. Associer également les acteurs de la prévention des risques professionnels. Engager une réflexion sur les impacts pour la production et la qualité. Il existe une méthodologie en trois étapes : analyser les charges physiques de travail(1), valider avec un groupe de travail, formaliser les caractéristiques attendues de l’exosquelette. On peut alors écrire l’objectif de pertinence de l’exosquelette : le service attendu, l’utilisabilité, les impacts pour l’opérateur, les consignes pour l’environnement et la sécurité. Le service de santé au travail est qualifié pour accompagner l’entreprise dans cette démarche. Lors de la décision d’achat, il faut communiquer en interne. L’idéal est de se donner un temps pour que les salariés concernés se familiarisent avec cet équipement qui bouleverse la situation de travail.

E&S Comment évolue l’offre ?

Delphine Baras : Plusieurs évolutions sont en cours. Le poids diminue, grâce à l’utilisation de nouveaux matériaux. On va vers « une seconde peau ». L’électronique embarquée s’améliore : les réglages s’affinent et le fonctionnement s’améliore nettement, ne serait-ce qu’en réactivité sur les changements de gestes ou de postures. On voit aujourd’hui des exosquelettes qui fonctionnent bien. Par exemple, pour le ponçage de plafonds, où les retours d’expérience sont positifs. Les offres vont évoluer en fonction de ces retours d’expérience : c’est le test en situation réelle de travail qui oriente les évolutions. Grâce à ces retours d’expérience, les exosquelettes vont entrer en phase de maturité technologique.

Laurence Samain : Effectivement, les exosquelettes évoluent en permanence. Il faut suivre cette offre, qui change presque chaque jour ! Il faut savoir attendre qu’apparaisse l’exosquelette le mieux adapté à la situation de travail, plutôt qu’acheter tout de suite un modèle imparfait. Car les exosquelettes s’adaptent en permanence à l’ensemble des demandes. Aujourd’hui, les exosquelettes font partie du monde du travail. On ne peut pas les rejeter. Mais il faut toujours respecter la démarche d’intégration, en associant les salariés.

Quel conseil donneriez-vous à une TPE ou une PME ?

Delphine Baras : Il ne faut pas louper la réflexion avant l’achat. Mettre en place un exosquelette relève d’une démarche de projet. Les services de santé au travail sont là pour accompagner : analyse de l’activité et préconisation pour l’acceptabilité. L’INRS édite des guides et propose des outils en ligne. Une norme AFNOR devrait être publiée en 2020. Tout se joue avant l’achat, à cette étape de réflexion concerté avec le (les) salarié (s). Pour éviter un achat inutile.

Laurence Samain : Pour ma part, je ne dis pas : « N’achetez pas ! » Mais il faut étudier l’offre avec son service de santé au travail et associer le ou les salarié(s). Laisser une marge de choix à l’opérateur. Prenons l’exemple de la peinture de plafonds : pour une utilisation optimale, le salarié doit être associé à l’achat. Il faut aussi être pragmatique : l’exosquelette est une réponse possible à des restrictions médicales et peut concourir au maintien dans l’emploi. A une condition : que ses effets bénéfiques soient objectivés. Parler des exosquelettes dans une entreprise, c’est parler du « travail », c’est à dire le travail réel ! Celui des salariés… En échangeant avec eux, sur leurs difficultés et les solutions, on les valorise. L’entreprise est alors gagnante en écoutant leurs suggestions. Notre rôle est d’aider les salariés et l’entreprise : écouter, observer, dialoguer, accompagner.

entretien

Ergopicard

Delphine Baras et Laurence Samain sont membres du groupe de travail exosquelettes, mis en place par l’association Ergopicard. Créée en 2003 et aujourd’hui présidée par Nathalie Lachambre, ergonome à l’ASMIS, elle regroupe des ergonomes de services de santé au travail, d’entreprises, de cabinets de consultants et d’universités. Elle a pour objectif de :

  • Rassembler les ergonomes de Picardie,
  • Développer des coopérations avec d’autres professionnels (méthodes, qualité, production, sécurité, médecine, …)
  • Promouvoir l’ergonomie et rendre plus lisible l’offre de service aux entreprises,
  • Apporter des contributions sur des thématiques de santé, de prévention, de développements social et économique, …
  • Parrainer de jeunes ergonomes.

Cette association a à son actif la réalisation de rencontres, conférences et journées d’échanges.

« C’est l’avenir dans le monde des entreprises, notamment dans l’industrie et le BTP. Mais aussi, dans le monde médical, vis-à-vis des handicapés moteurs »

Pour que l’exosquelette ne reste pas au porte-manteau

La démarche d’intégration est essentielle :

  • 1- Analyser la charge de travail
  • 2- Valider cette analyse en interne
  • 3- En établir les caractéristiques
    • Service attendu
    • Conditions d’utilisation
    • Impacts pour l’opérateur
    • Consignes pour l’environnement de travail
    • Consignes sur l’organisation de travail
    • Consignes de sécurité
  • 4- Communiquer +++
  • 5- Définir les critères d’évaluation
    (appropriation, utilité, impact…)
  • 6- Apprentissage en dehors du poste puis au poste de travail
  • 7- Valider l’intégration de l’exosquelette à court, moyen et long terme

1-Voir à ce propos, la brochure ED 6161, « Méthode d’analyse de la charge physique de travail », Institut national de recherche et sécurité, téléchargeable sur inrs.fr

2-Institut national de recherche et sécurité : inrs.fr

(Publié dans le N°49 : Pénibilité: les exosquelettes débarquent !) le 24/02/2020

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