Professeur Paul Frimat et Maître Régis Lamoril

Pour ce numéro 20 consacré à la loi du 11 juillet 2011 relative à l’organisation de la médecine du travail, Entreprise et Santé vous propose un entretien croisé entre Paul Frimat, professeur de Médecine du Travail (Faculté de médecine, Université de Lille II Droit et Santé, CHRU de Lille) et président de l’Institut de Santé au Travail du Nord de la France (ISTNF) et Régis Lamoril, Avocat en Droit Social et en Droit Commercial, Docteur d’Etat en Droit, Président de l’Association de Santé au Travail 62-59 (Santé au Travail de Lens-Arras-Béthune-Hénin-Liévin). Regards croisés… pour mieux nous éclairer sur le passage de la Médecine du Travail à la Santé au Travail.
Paul Frimat,Professeur de Médecine du Travail (Faculté de médecine, Université de Lille II Droit et Santé, CHRU de Lille) et président de l’Institut de Santé au Travail du Nord de la France (ISTNF)
Régis Lamoril, Avocat en Droit Social et en Droit Commercial, Docteur d’Etat en Droit, Président de l’Association de Santé au Travail 62-59 (Santé au Travail de Lens-Arras-Béthune-Hénin-Liévin)
E&S : Que dire de la responsabilité de l’employeur, face à la nouvelle loi relative à l’organisation de la médecine du travail, applicable au 1er juillet 2012 ?
RL : Pour mémoire, la santé et la sécurité au travail sont abordées dans les manuels de droit social, aux chapitres « Hygiène-Santé- Sécurité ». Pour les entreprises privées, le droit en santé au travail relève du Code du Travail. La jurisprudence a créé, dès 2002, l’obligation de résultat en matière de sécurité au travail. La nouvelle loi ne change rien sur ce point. Et, plus que jamais, l’employeur ne peut pas faire l’impasse et ne peut pas avoir « d’oubli » sur l’obligation d’évaluation et de prévention. Et aujourd’hui, il faut savoir aborder des risques plus délicats, tels que les risques psychosociaux. Dans un contexte très médiatisé, de grands groupes y sont confrontés. Attention : les Petites et Moyennes Entreprises sont également concernées par ces risques. Et pour moi, la réforme responsabilise davantage l’employeur. Elle implique aussi que le Service Interentreprises de Santé au Travail ait la capacité à répondre à la demande d’une entreprise.
PF: Effectivement. Et l’obligation de sécurité de résultat existe depuis 2002 dans la jurisprudence. Déjà 10 ans ! Et le juge admet de moins en moins que l’employeur dise : « je ne savais pas… ». Les arrêts sont de plus en plus sévères. Certains d’entre eux, récemment, ne retiennent pas la faute inexcusable de l’employeur à une seule condition : que l’employeur justifie la réalité de ses actions en matière d’évaluation et de prévention des risques.
E&S : S’il y avait une seule idée à retenir de la réforme du 20 juillet 2011,quelle serait-elle ?
PF : Nous passons d’un suivi individuel à un suivi collectif. En 1946, tout a été exclusivement basé sur un suivi médical individualisé pour que le salarié garde un bon état de santé. Sur ce principe, pendant des années, le médecin du travail devait établir, chaque année pour chaque salarié, l’avis d’aptitude médicale au poste de travail. Depuis 1979, chaque médecin du travail doit consacrer un tiers de son temps à des actions en entreprise. Aujourd’hui, on voit apparaître comme priorité la nécessité qu’existe, au sein de chaque entreprise, un projet de santé au travail. Celui-ci comprend des actions pour la prévention des risques professionnels, des actions d’information de formation à la sécurité et d’éducation à la santé des salariés et un suivi individualisé de santé au travail. Ce suivi doit être adapté aux risques présents dans l’entreprise et à la situation du salarié. Les entreprises payent une cotisation obligatoire à leur Service Interentreprises de Santé au Travail. En retour, le service aide l’entreprise dans la démarche collective d’évaluation et de prévention, en apportant également ce suivi individuel médicalisé en santé au travail. La vraie question, c’est comment aider l’entreprise à rester en santé. Ce n’est plus seulement vérifier l’aptitude médicale. Et le médecin du travail ne peut pas tout faire tout seul ! Autrement dit, la santé au travail, ce n’est pas que la visite médicale…
« La réforme responsabilise davantage l’employeur » Régis Lamoril
RL : En tant que président d’un Service Interentreprises de Santé au Travail, je dirai que nous n’avons pas attendu la réforme pour franchir ce pas. De nombreux Services Interentreprises de Santé au Travail, notamment dans le Nord-Pas-de- Calais et la Picardie ont des infirmiers de santé au travail, des ergonomes, des diététiciennes, des psychologues, des techniciens métrologues et des ingénieurs Hygiène Sécurité Environnement qui épaulent le médecin du travail pour aider les entreprises, en fonction des besoins constatés. Dans la loi du 11 février 2011, le législateur entérine cette notion d’équipe pluridisciplinaire, animée et coordonnée par le médecin du travail. Mais, il faut également que l’entreprise soit demandeuse de conseils en santé au travail.
E&S : Mais, l’aptitude médicale au poste de travail reste une obligation pour tout contrat de travail. Sur ce point, la loi n’a rien modifié … ?
PF : Effectivement, l’évolution aurait pu être plus importante. Le principe de l’aptitude médicale au poste de travail a été maintenu, mais l’obligation a été assouplie dans sa périodicité en tenant compte de la baisse de la démographie médicale. On peut dire qu’il y a un élargissement, voire un assouplissement de l’obligation d’aptitude. La visite médicale n’est déjà plus annuelle. Soyons clair : le nombre de médecin du travail ne permet plus d’assurer les visites médicales annuelles systématiques pour les 16 millions de salariés du secteur privé… La fréquence de la visite médicale périodique tend à s’adapter aux situations personnelles du salarié et aux risques auxquels il est exposé. Dans le cadre de protocoles précis et en application de règles de bonnes pratiques, le médecin du travail peut espacer cette visite à deux ans, voire quatre à cinq ans. A condition que des entretiens infirmiers en santé au travail et des actions de prévention en milieu de travail aient lieu. Le salarié et son entreprise ne sont pas perdus de vue…
RL : Il faut rappeler que chaque Service Interentreprises de Santé au Travail est soumis, de par la loi, à l’obtention d’un agrément délivré par la DIrection Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi (DIRECCTE / Ministère du Travail). C’est dans le cadre de cet agrément que chaque service sera habilité ou non à espacer la fréquence des visites médicales systématiques. On entre dans la mise en place d’un suivi de santé au travail par une équipe autour du médecin du travail. Et l’infirmier qui reçoit un salarié doit l’orienter vers le médecin du travail s’il détecte un problème. L’infirmier ne délivre pas d’aptitude. Seul, le médecin du travail peut le faire. Dans les faits, le médecin du travail sera amené à voir de plus en plus les salariés pour lesquels des décisions sont à prendre. Grâce aux infirmiers de santé au travail, dans un contexte de pénurie de médecin du travail, la charge du médecin du travail est allégée pour le suivi systématique. Et il est recentré sur son coeur de métier pour les cas à problèmes. Enfin, la nouvelle loi définit un délai de 60 jours, au-delà duquel un avis d’aptitude ou d’inaptitude ne pourra pas être contesté et faire l’objet d’un recours.
E&S : Pour vous, le rôle du médecin du travail est-il renforcé ?
RL : Oui. Il est même mieux reconnu vis-à-vis de l’employeur. En effet, celui-ci peut recevoir, de la part du médecin du travail, une lettre d’observation recommandant telle ou telle disposition, voire lui demandant de pallier à des manquements dans l’entreprise. Cette lettre ne peut pas rester « lettre morte » ! L’employeur, dont la responsabilité est ainsi directement interpellée, a obligation de répondre. De même, l’employeur peut interroger le médecin du travail, qui a également obligation de répondre. Pour moi, l’employeur ne doit plus hésiter à recourir aux moyens de son Service Interentreprises de Santé au Travail, pour les questions de santé et sécurité au travail.
PF : L’indépendance technique du médecin du travail reste inchangée. C’est important de le rappeler. Attention : l’employeur reste totalement responsable. Pour moi, le médecin du travail a un droit d’alerte auquel l’employeur doit répondre. Mais, express il faut raisonner en termes de dynamiques partagées. Pour cela, il doit d’abord y avoir une dynamique positive dans l’entreprise vis-à-vis des questions de santé au travail. Cette dynamique repose sur le Document Unique d’Évaluation des Risques (DUER) et le plan d’actions de prévention qui s’ensuit. Ce véritable « Plan Santé Travail » doit être élaboré avec le Service Interentreprises de Santé au Travail auquel l’entreprise adhère.
E&S :On voit apparaître des Plans Régionaux et Nationaux en Santé au Travail. Quel est le rôle de l’état ?
PF : Un nouvel équilibre se dessine entre les Services Interentreprises de Santé au Travail et leur autorité de tutelle, à savoir la DIRECCTE. Au niveau national et régional, s’élaborent effectivement les Plans Nationaux et Régionaux de Santé au Travail. Ceux-ci définissent des axes prioritaires de santé au travail. Dans l’agrément délivré par la DIRECTTE, le Service Interentreprises de Santé au Travail doit à présent proposer un projet de service et un Contrat Pluriannuel d’Objectifs et de Moyens (CPOM). Ce contrat doit être signé avec la CARSAT et la DIRECCTE. Il est important que ces partenaires de prévention parlent d’une voix unique. Il est capital que les services de santé au travail soient forces de proposition, au nom de leurs entreprises adhérentes. à ce propos, les partenaires sociaux ont leur mot à dire.
RL : L’un des points fondamentaux de la réforme est d’instituer non seulement l’élaboration au sein de la Commission Médico Technique un projet de services dont l’adoption dépend du seul Conseil d’Administration. Mais en outre, d’instituer une contractualisation des missions prioritaires du service au travers du Contrat Pluriannuel d’Objectifs et de Moyens (CPOM) conclu avec la DIRECCTE et la CARSAT (ex CRAM). Les missions de services doivent donc devenir le fruit d’un dialogue avec les autorités compétentes et le fruit d’une négociation avec ces derniers. à ce propos et dans cette dynamique, la nouvelle loi institue une parité au sein des Conseils d’Administration des Services Interentreprises de Santé au Travail. Il y a autant de représentants salariés que de représentants employeurs. Le président est un représentant employeur. Le trésorier est un représentant salarié. Il y a aussi une commission de contrôle au sein de laquelle les salariés sont majoritaires, et dont le président est un membre salarié. Une nouvelle dynamique est possible entre partenaires sociaux au sein de la gouvernance des Services Interentreprises de Santé au Travail.
E&S : Un dernier mot pour conclure ?
RL : Un Service Interentreprises de Santé au Travail est au service des entreprises adhérentes. Au devant des besoins des entreprises et de leurs salariés, un service doit développer de nouvelles prestations et de nouveaux métiers. C’est une véritable stratégie de développement que chaque Service Interentreprises de Santé au Travail doit définir et mettre en oeuvre pour apporter à ses adhérents une aide aussi efficace et durable que possible.
« La santé au travail, ce n’est pas que la visite médicale… » Paul Frima
PF : La nouvelle loi impose que les Services Interentreprises de Santé au Travail développent la veille sanitaire.
Ceci doit concourir à l’élaboration de véritables politiques d’entreprises vis-à-vis de la santé au travail. Même au sein d’une TPE ou d’une PME ! Elles constituent 80 % des adhérents à un Service Interentreprises de Santé au Travail. Celui-ci est là pour aider l’entreprise, avec un oeil qui n’est ni celui de l’Assurance Maladie, ni celui de l’Inspection du Travail. Car le Service Interentreprises de Santé au Travail a un rôle exclusif de conseil pour le développement de la prévention collective en entreprise.
BIOGRAPHIE EXPRESS
Régis Lamoril
Né le 8 janvier 1949 à Saint Pol sur Ternoise, Régis Lamoril est devenu avocat au barreau d’Arras le 18 juin 1972. IL est titulaire d’un doctorat d’Etat en droit. Il est spécialisé en droit social et en droit commercial. Il a été bâtonnier de l’ordre des avocats en 1987 et en 1988. En 1987, il a intégré le conseil d’administration du Service Médical Interprofessionnel Arras-Saint Pol, dont il devient président en 1997. Depuis cette date, il est resté président tout au long des fusions qui ont conduit à la naissance d’AST 62-59 (Association de Santé au Travail 62-59).
Paul Frimat
Né le 12 décembre 1948 à Lille, Paul Frimat s’est orienté en médecine du travail après avoir été chef de clinique en Dermatologie au CHRU de Lille. Elève du professeur Daniel Furon, auquel il a succédé, Paul Frimat est professeur d’université en médecine du travail à la Faculté de Médecine de Lille-Université de Lille II et praticien hospitalier au CHRU de Lille (Consultation de Pathologie Professionnelle). Dès l’an 2000, il a été à l’origine d’un livre blanc pour une réforme en profondeur de la médecine du travail. Internationalement reconnu, il est élu président du conseil scientifique de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) en 2011. Il est co-auteur du rapport « La santé au travail : Vision nouvelle et professions d’avenir » (Rapport Dellacherie-Frimat-Leclercq), publié en 2010. La même année, il devient président de l’Institut de Santé au Travail du Nord de la France (ISTNF).
(Publié dans le N°20 : La Santé au Travail succède à la Médecine du Travail BIENVENUE !) le 01/10/2012
A PHP Error was encountered
Severity: Notice
Message: Undefined index: navSearchListURL
Filename: frontoffice/mag-detail.php
Line Number: 258
A PHP Error was encountered
Severity: Notice
Message: Undefined index: navURLs
Filename: frontoffice/mag-detail.php
Line Number: 258
A PHP Error was encountered
Severity: Warning
Message: in_array() expects parameter 2 to be array, null given
Filename: frontoffice/mag-detail.php
Line Number: 258