Point de vue de Gérard Vallery: 4 clés de lecture sur les relations entre santé mentale et nouvelles technologies

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Le stress au travail et la santé mentale au travail sont des thèmes de recherche et d’intervention privilégiés pour Gérard Valléry, responsable de la filière Ergonomie et Psychologie du travail à l’Université de Picardie Jules Verne et directeur du Master II « Facteurs Humains et Systèmes de Travail » au sein de cette même Université. Membre du Centre de Recherche en Psychologie, il travaille sur trois thèmes principaux : les risques psychosociaux et l‘usure professionnelle, la conception et l’usage de nouvelles technologies, l’analyse et l’évolution des situations de travail dans les relations de service. Par exemple, la relation de « face à face » cède la place à une relation « à distance », médiatisée par des outils de plus en plus complexes. Les Centres d’appel en sont un des exemples les plus aboutis… Entreprise & Santé a demandé à Gérard Valléry de nous livrer quelques clés de lecture.

Gérard Vallery, professeur des universités en psychologie du travail et ergonomie, Université de Picardie Jules Vernes, Amiens

CE N’EST PAS EN SOI LES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION (TIC) QUI POSENT QUESTION, MAIS LEUR MODE D’UTILISATION ET D’INTÉGRATION DANS LES ORGANISATIONS DU TRAVAIL COMME DANS NOS VIES QUOTIDIENNES.

L’usage des nouvelles technologies est devenu très intensif. Nous sommes tous reliés, quels que soient le lieu et le moment, avec des pressions plus ou moins implicites et fortes. Il y a de plus en plus une rupture spatiotemporelle entre nos différents univers de vie (travail/non travail), au sens où les frontières sont de plus en plus floues ; « brouillées » par l’usage des TIC … Certains n’arrivant plus à se détacher du travail. Nous avons, chacun d’entre nous, besoin de moments sans travail, de prise de distance… Schématiquement, les contraintes sociales et organisationnelles associées à l’usage des TIC créent stress, anxiété et parfois une désorientation dûe à une forte dépendance aux outils qui peut induire des difficultés d’ordre sociales et familiales. La question n’est donc pas seulement attachée au travail et aux conditions d’utilisation des TIC mais aussi sociétale (isolement, intensification, intrusion dans la vie privée, nouveau rapport au temps…).

ATTENTION : IL FAUT TRAVAILLER SUR LA GESTION DES ÉMOTIONS AUTANT QUE SUR LA TECHNOLOGIE ELLE-MÊME.

Le service auprès d’usager, de bénéficiaire ou de client est en plein développement. Les relations avec l’agent sont parfois intenses, selon les situations et la nature du service rendu (par exemple au sein de structures à caractère social comme les CAF ou Pôle Emploi où les relations peuvent être tendues). La gestion de cette relation met en oeuvre un stress spécifique, car elle mobilise les affects et les émotions dans une situation de fortes contraintes. Par exemple, dans les centres d’appel, qu’ils soient internalisés (au sein des entreprises) ou externalisés (prestataires d’entreprises-clientes), il peut être difficile pour les agents de gérer ces émotions au travail, compte tenu des contraintes liées aux objectifs de travail. Au sein d’une banque par exemple, en centre d’appel internalisé, la relation client reste un métier en cohérence avec l’ensemble des fonctions de l’établissement. Les agents réalisent du conseil de premier niveau, des prises de rendezvous, peuvent être en lien avec les agences… tout en restant dans le métier bancaire. Ici l’activité s’inscrit dans une continuité, y compris en termes d’emplois (perspective d’évolution de carrière au sein de la banque). A contrario, en centre d’appel externalisé, les agents ont des situations très différentes à gérer puisqu’ils doivent traiter, dans une même séquence de travail, différentes demandes pour plusieurs entreprises-clients (après vente, prise de rendez-vous, conseils, téléassistance, etc.). Une forte polyvalence est requise : elle enrichit les tâches mais crée des contraintes par la diversité des situations à traiter. En effet, il faut savoir adopter (et adapter) des logiques d’échanges et de communication très différentes d’un appel à un autre, selon les interlocuteurs et les objectifs prescrits par l’entreprise. Il faut donc travailler sur la gestion de ces émotions, autant que sur les technologies elles-mêmes qui peuvent faciliter les interactions comme les contraindre.

LA CONCEPTION DES OUTILS ET DES USAGES DOIT ÊTRE PLURIDISCIPLINAIRE : DÉCIDEURS, UTILISATEURS ET ERGONOMES.

L’ergonome aide à la conception des outils et des situations de travail. L’usage des nouvelles technologies doit être facilitateur pour l’utilisateur. Et l’outil est indissociable de son usage. Et il doit rester un outil : être facilitateur, sans devenir lui-même une contrainte. Cette conception repose sur une triade au sein d’une démarche de projet : la réalisation technique, le donneur d’ordre, les utilisateurs finaux. Le donneur d’ordre doit formaliser clairement l’évolution attendue du nouvel outil par rapport à ce que l’entreprise veut. Les utilisateurs finaux doivent être associés, car c’est eux qui supporteront le coût cognitif et psychique. C’est avec eux que l’on peut réduire ce coût par une meilleure adaptation de l’outil à leur travail comme à leurs besoins.

QUEL EST LE PARTAGE DE TRAVAIL ENTRE L’HOMME ET LA MACHINE ? UNE QUESTION RÉCURRENTE !

La robotisation et l’automatisation continuent de progresser. Des systèmes informatisés traitent « de A à Z » des processus administratifs complets et complexes, reléguant l’homme a un rôle de supervision ou de contrôle ponctuel. En industrie, certains robots deviennent de plus en plus autonomes, capables d’apprendre des tâches simples … La question de la place de l’homme reste posée : quel est le partage de travail entre l’homme et la machine ? Les nouvelles technologies se développent sans nous abstraire de cette question ; voire même la renouvelle de manière plus cruciale. Soit l’homme a très peu de liberté, de marges d’action et devient un exécutant dans un système technique complexe, sous contrôle permanent, sous couvert de traçabilité et d’efficacité. C’est alors une organisation « néotaylorienne » qui se met en place avec l’appui, le soutien des technologies ; plutôt leur mise en usage dans un choix d’organisation donné. Soit les nouvelles technologies renforcent les possibilités d’action, de coopération, d’accroissement des connaissances et d’aides à la décision autour d’une maîtrise des outils par les hommes ; comme l’exemple des outils collaboratifs qui permettent/facilitent une distribution de connaissances autour de projets partagés (exemple d’architectes répartis sur la planète qui collaborent autour d’un même projet de conception partagé). Bien-sûr, les choix ne sont pas binaires entre des technologies « assujettissantes » ou « développementales » de l’homme car on trouve nombreuses situations intermédiaires, selon les contextes et notamment les modalités d’organisation du travail retenues. En conclusion, nous retiendrons l’idée qu’il n’existe pas de déterminisme technologique strict en matière de TIC ; des choix existent et dépendent essentiellement du sens que l’on veut donner au travail par le déploiement de technologies au service de l’homme, de sa santé et de son développement.

(Publié dans le N°28 : Tous connectés et la santé dans tout cela ? ) le 17/11/2014

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