Xénophon Vaxévanoglou, mettre les NTIC au service de l’organisation et non pas l’inverse!

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Maître de conférences en Ergonomie à l’Université de Lille II (Droit et Santé), Xénophon Vaxévanoglou est responsable du master « Ergonomie, Santé et Développement ». Ce titre est très clair : l’ergonomie concourt à la santé et au développement. Diplômé de Lille III en Psychologie du Travail (DESS) et Psychologie Sociale (DEA), en Ergonomie au Conservatoire National des Arts et Métiers et titulaire d’un Doctorat en Ergonomie et Psychologie du travail, Xénophon Vaxévanoglou s’est spécialisé sur une question cruciale, celle des liens entre Organisation du travail et Santé psychique au travail. Il s’est, tout naturellement, intéressé aux impacts sur la santé des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC).

Si on vous dit NTIC… A quoi pensez-vous ?

XV : Je pense à l’accélération du temps dans les organisations de travail. Les mails et les messageries sont une forme de NTIC. A peine le mail a-t-il été adressé et reçu, il doit déjà avoir une réponse ! Et il faut souvent montrer que « c’est déjà fait »… Tout est devenu immédiat. Il faut tout, tout de suite. Notamment dans le secteur des services, de la vente et du tertiaire. Dans les anciens processus de travail, de type Taylorien, les temps étaient comptés, calibrés et figés. Dans les organisations qui se structurent à coup de process dématérialisés grâce aux NTIC, on constate une accélération de l’activité, et une exacerbation du « ici et maintenant » ! Personne n’y échappe. Les rapports sociaux s’établissent sur des temps et des délais de plus en plus réduits. Et cela pose de réels problèmes qui concernent la qualité des relations interpersonnelles dans les entreprises. Je pense également à l’abolissement des frontières entre « travail » et « non travail ». La charge de travail déborde l’espace et le temps du travail et envahit la vie privée et ce de façon inégale selon les organisations. Un ouvrier, qui travaille dans une organisation Taylorienne / Fordienne, ne peut pas prendre une voiture d’une chaîne de montage pour la finir le dimanche chez lui ! Dans de nombreux établissements bancaires, le chef d’agence prend des dossiers chez lui et travaille à distance par internet, mail…

Quels en sont les impacts sur la santé ?

XV : Les impacts sont indirects et étroitement liés à la difficulté de maîtriser la charge de travail. Les NTIC intensifient les contraintes qui pèsent sur l’activité et font qu’une partie de la charge de travail n’est plus « visible »… car elle est gérée en dehors de l’entreprise! Elle glisse sur la vie privée. Du coup elle n’est pas discutée et ne fait pas l’objet d’une quelconque reconnaissance. Tout est alors réuni pour dégrader la santé psychique d’une personne. Il faut également faire attention à la modification des rapports sociaux au travail que les NTIC induisent. Depuis 15 ans, on assiste à la déshumanisation des rapports interpersonnels qui sont médiatisés par les NTIC. Et les situations de harcèlement moral, reconnues par le législateur, se multiplient. Par exemple, tel directeur régional d’une Banque envoie par mail des injonctions et/ou des critiques sur le travail et les résultats d’un conseiller, sans copie au chef d’agence qui est le responsable hiérarchique direct et sans donner la possibilité au conseiller de lui répondre. Il n’y a donc pas de confrontation constructive, directe, transparente et claire, avec développement de contre-arguments…Le débat sur le travail ne peut pas exister quand les rapports sociaux sont médiatisés et se déroulent à distance… Les rapports interpersonnels deviennent alors délétères.
Les NTIC conduisent aussi à la mise en visibilité du travail de chacun. Il n’y a plus d’anonymat ou de vraie confidentialité. Par exemple, l’agenda de chaque collaborateur est visible par tous. L’activité d’un salarié est suivie par non seulement sa hiérarchie, via le reporting par ailleurs dématérialisé, mais aussi par ses collègues. Dans des organisations, qui, pour booster la productivité, inventent des processus de mise en concurrence des salariés, Il peut y avoir des effets pervers, violences et harcèlement, qui détruisent les collectifs de travail et qui constituent un frein à toute forme de développement. Les systèmes d’évaluation des salariés, dans ce contexte de visibilité du travail de chacun rendue possible par la dématérialisation du travail, sont tout aussi délétères car ils comportent une dimension subjective qui ne trouve pas ancrage dans la réalité. Cela modifie les rapports interpersonnels et peut conduire à des situations d’épuisement émotionnel, de harcèlement moral, à des dépressions. La déstructuration de rapport au travail est une conséquence inévitable de ces processus. Les NTIC mises au service d’organisations qui se structurent sur des objectifs financiers intensifient la perte d’autonomie et la perte de contrôle sur son travail, ce qui est source de dysfonctionnements opérationnels et sociaux. De nombreuses études, expertises, monographies existent et sont régulièrement publiées. Elles montrent clairement ces processus de dégradation et leurs impacts. Par contre, nous n’avons pas encore suffisamment de données épidémiologiques pour pouvoir « imposer » des démarches d’évaluation et des modes de prévention !

Peut-on faire sans les NTIC ?


XV : C’est « LA » question ! En fait, on a calé l’organisation du travail et le fonctionnement de l’entreprise sur les NTIC. Et non, l’inverse. Les 20-30 ans ne peuvent pas faire sans les NTIC. Ce n’est pas imaginable. Dans toutes les tranches d’âge, on perd le rapport aux objets, du fait de la technologie internet. Qui fait une recherche bibliographique dans une bibliothèque en sortant de leurs rayons des dizaines de livres ? Acheter un billet de train se fait de chez soi ou de son lieu de travail, c’est disponible à chaque instant. Et immédiatement ! Et pas besoin de rencontrer un congénère, échanger avec lui, construire un rapport interpersonnel pour cela. Sur un plan économique, il m’apparaît inimaginable de faire aujourd’hui sans internet… On ne peut pas revenir en arrière et remettre des cabines téléphoniques ! Cependant, je pense qu’il faut mettre des limites. Prenons l’exemple des « open-space ». Les gens ne se lèvent plus. Ils ne se déplacent plus. Ils s’envoient des mails. Si on se déplace, on est vu, tout le monde sait qui se lève pour aller discuter avec untel ! Dans certaines organisations, cela peut prendre de l’importance. Il y a une sorte de contrôle des collègues ou de la hiérarchie. Tout ce que l’on veut dire discrètement, on le fait à présent par mail, sans être vu… On peut même envoyer… et effacer quasi instantanément ! On pense garder le contrôle. En fait, c’est mémorisé et accessible pendant longtemps par ceux qui gèrent le réseau sur le plan technique. On est obligé de faire avec internet et les réseaux informatiques. Pour le travail et pour la vie en société! Cependant les impacts « positifs » des NTIC sont notables et sans doute déterminants pour l’avenir : l’accès à la connaissance et à la culture, l’extension du pouvoir d’agir dans le travail mais aussi dans la vie quotidienne, les loisirs, le travail collaboratif, l’interactivité en temps réel… Il s’agit donc de trouver des équilibres qui structurent le « vivre et travailler ensemble ». Mais cela exige des organisations et des modes de gestion du travail apprenants et intelligents socialement. Les modèles dominants aujourd’hui dans le monde du travail sont très loin de ces prérequis.

On ne peut pas revenir en arrière et remettre des cabines téléphoniques !

Comment préserver sa santé ?

XV : En mettant les NTIC au service de l’organisation… L’organisation de travail, la structuration collective des objectifs et des process, se pensent avant le choix de la technologie. Le choix des NTIC et leur mise en oeuvre, du mail au workflow, de l’internet aux forums de discussion intranet, de la mise en commun des connaissances aux vidéoconférences…doivent intégrer un système organisé qu’elles contribuent à optimiser et non à structurer ou déstructurer. L’automatisation et l’informatisation des années 80 et 90 ont transformé le travail en déplaçant le curseur du travail physique vers le travail cognitif. Les NTIC facilitent la mise en place et permettent d’optimiser les organisations au sein desquelles l’ensemble des dimensions du travail et des rapports sociaux sont impactés.

Quel conseil donner à un patron de TPE-PME ?

XV : Il faut toujours se poser une question : dans mon organisation, à quoi va servir tel type de NTIC… au service de quoi, de qui, pour quelle efficacité réelle ? En d’autres termes, il faut arrêter d’introduire des outils pour les outils ou parce que les concurrents le font ! Il faut éviter le piège qui consiste à laisser à la technologie et a fortiori aux NTIC, le soin d’organiser le système de production et le travail humain. Le prix à payer du côté de la performance, des rapports sociaux et de la santé est trop élevé pour les entreprises qui n’ont pas la structure financière de leurs soeurs du CAC 40 !!!

Il faut éviter le piège qui consiste à laisser à la technologie et a fortiori aux NTIC, le soin d’organiser le système de production et le travail humain »

(Publié dans le N°28 : Tous connectés et la santé dans tout cela ? ) le 17/11/2014

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