Les prochaines années vont constituer un défi pour tous… Le droit de la santé au travail a toutes ses raisons d’être

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Sophie Fantoni-Quinton
Praticien Hospitalier au CHRU de Lille, Docteur en Droit

Sophie Fantoni-Quinton va vite. Sans précipitation. Avec qualité, efficacité, et performance. Et avec la précision du juriste. En effet, elle est docteur en droit. Elle est également médecin spécialiste en Médecine du Travail. Praticien Hospitalier au CHRU de Lille, elle travaille au service de consultation de pathologie professionnelle. Les services de médecine du travail sont devenus services de santé au travail. L’activité du médecin du travail se diversifie. Les interventions en entreprise, sur les lieux de travail, se multiplient. Entreprise et Santé a interrogé Sophie Fantoni-Quinton sur l’émergence et les enjeux « d’un nouveau droit de la santé au travail ».

1/ Au regard des évolutions en cours, quels en sont les nouveaux enjeux juridiques du « droit de la santé au travail » ?

SFQ: Pour les grandes catégories de risques (alimentaires, médicamenteux, environnementaux,…) il existe un droit à la santé et donc des droits et obligations qui y sont rattachés. De même, les enjeux en santé au travail sont la préservation de la santé et de la sécurité des salariés au travail. Ils sont renouvelés par les mutations du monde du travail (technologie, polyvalence, précarisation, …) et les exigences accrues en matière de santé. Les textes régissant la santé au travail se complexifient. On assiste à une pénalisation du droit du travail de nature à rendre sa mise en oeuvre parfois difficile et à mettre les entreprises et les services de santé au travail en situation d’insécurité juridique permanente.

2/ Le médecin du travail et son équipe interviennent comme conseillers du chef d’entreprise et des salariés. Où s’arrête et où commence la responsabilité d’un conseiller ?

SFQ: La responsabilité de la santé et de la sécurité des salariés est clairement celle de l’employeur, sur le plan civil et sur le plan pénal. Cette responsabilité n’est pas exclusive de celle des médecins du travail. Il n’y a pas de délégation de responsabilité juridique. Pour autant, ces derniers ont une mission qui engage leur responsabilité. Cette mission est, entre autres, fondée sur leur rôle de conseiller du chef d’entreprise et des salariés. Il a pu, il peut et il pourra encore leur être reproché de n’avoir pas correctement rempli cette fonction.

3/ Depuis la jurisprudence « Amiante », l’obligation de résultat en matière de sécurité au travail s’impose à l’employeur. Que dire des évolutions de la jurisprudence en la matière ?

SFQ: En plus de l’obligation générale de prévention définie par le Code du travail, incombe désormais à l’employeur une obligation de résultat en matière de santé et de sécurité des salariés. Il y a donc une « double poussée » à la fois juridique (multiplication des obligations réglementaires) et jurisprudentielle. Depuis 2002, les juges ont étendu le champ de cette obligation de sécurité de résultat. Aujourd’hui, la défaillance de l’employeur quant à la mise en oeuvre par exemple d’un dispositif de sécurité ou de l’organisation du travail, le non respect des préconisations du médecin du travail, la survenue d’un accident ou d’une maladie professionnelle, sont, par nature, des illustrations de l’échec de l’employeur à cette obligation de sécurité de résultat.

4/ On parle souvent de droits et devoirs en santé au travail pour les employeurs. Quels en sont les fondements juridiques ?

SFQ: Les droits de l’employeur tiennent à son pouvoir de direction qui revêt différentes catégories de droits : il a un pouvoir d’organisation, un pouvoir réglementaire (possibilité d’édicter un règlement intérieur par exemple) et un pouvoir disciplinaire (possibilité de sanctionner des fautes prévues dans le cadre du règlement intérieur). Il a aussi un pouvoir de qualification de ce que peut être une faute en dehors des cas prévus par un éventuel règlement intérieur. Parce que le salarié et l’employeur sont liés par un contrat qui n’est pas totalement équilibré face à ce pouvoir de direction, et parce que le salarié est sous la subordination (sous les ordres) de l’employeur, le droit du travail a veillé à équilibrer les pouvoirs de l’employeur par des devoirs. En dehors de l’obligation de fournir un travail rémunéré, l’employeur a une obligation d’exécution de bonne foi (donc obligation de formation, de reclassement…), ainsi qu’une obligation de sécurité devenue de résultat.

5/ On parle aussi de droits et devoirs en santé au travail pour les employés. Quels en sont les fondements juridiques ?

SFQ: Si les employeurs ont une obligation de sécurité de résultat, le législateur a aussi estimé que le salarié n’était pas exempt d’obligation dans le cadre de sa prestation de travail et du contrat de travail. Il a une obligation d’exécution de bonne foi et une obligation de veiller à sa sécurité et à sa santé (article L4122 alinéas 1 et 2). Compte tenu qu’il n’a pas de pouvoir de direction, les juges ont estimé qu’il s’agissait d’une obligation de moyens et non de résultat.

6/ Existe-t-il une jurisprudence importante sur le non-respect de la part d’un employeur des obligations en matière de santé et sécurité sur les lieux de travail ?

SFQ: Elle s’accroit : non respect des règles d’hygiène et de sécurité (défaut de dispositif de sécurité, non respect de l’interdiction de fumer dans les locaux de travail…), intervention trop tardive de l’employeur lorsqu’il existe des difficultés relationnelles, inertie face à un risque révélé par le CHSCT ou dont il « aurait dû avoir conscience compte tenu de sa mission et de ses compétences », non observation des restrictions émises par le médecin du travail, etc…

7/ Existe-t-il une jurisprudence analogue pour le salarié, en cas de non respect des consignes par exemple ?

SFQ: Le droit positif est explicite à ce sujet. Si le salarié n’observe pas les consignes de sécurité, c’est à l’employeur d’utiliser son pouvoir de direction, et donc, le cas échéant, son pouvoir disciplinaire, pour faire cesser la situation à risque (ex. : état d’imprégnation alcoolique, non respect des consignes de sécurité, etc.…). La transgression de cette obligation de sécurité du salarié peut aboutir à une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement, mais non à une dissolution de la responsabilité de l’employeur. Celui-ci reste toujours le seul responsable en cas de dommages inhérents aux comportements fautifs de son salarié.

8/ L’obligation d’évaluer les risques est inscrite dans le code du travail. S’accompagne-t-elle d’une obligation d’action de prévention ?

SFQ: L’obligation d’évaluation des risques professionnels est inscrite dans les principes généraux de prévention du Code du travail depuis 1991. Elle n’est devenue « effective », pour la plupart, qu’à partir du moment où cette évaluation a, par décret, dû être transcrite dans un document unique qui doit être actualisé tous les ans. A noter qu’il n’existe pas d’obligation de conservation des documents uniques antérieurs, ce qui en atténue considérablement la portée en matière de traçabilité et de prévention. L’action de prévention est portée par le dispositif législatif. Elle n’a été rattachée, en pratique, à ce document unique que par une circulaire d’application qui préconisait de lier étroitement l’action de prévention à un tel document. Un point demeure : la non réalisation de ce document est directement sanctionable pénalement, alors que l’absence de plan d’action de prévention ne l’est pas. L’absence d’action de prévention ne peut être sanctionnée qu’a posteriori, en cas de réalisation d’un danger…

9/ La pénibilité au travail est redevenue une question de droit avec la réforme des retraites de novembre 2010. Comment voyez-vous les implications de cette question en droit de la santé au travail ?

SFQ: Les implications juridiques sont multiples tant sur le volet prévention que sur le volet compensation. A la définition de la pénibilité, se rattachent désormais des droits et obligations.Ainsi l’employeur a une obligation de prévention et de traçabilité des risques professionnels. La prévention de la pénibilité va impliquer totalement les équipes de santé au travail dans leur devoir de traçabilité des risques professionnels, en particulier dans les dossiers médicaux de santé au travail, renforçant ainsi les exigences de rigueur dans la collecte d’information, avec les éventuels écueils en matière de responsabilité. L’employeur aura plus que jamais besoin des conseils de l’équipe de santé au travail pour l’identification des risques de pénibilité et pour la détermination des lésions « irréversibles et durables »…
Quant à la compensation, pour bénéficier d’une retraite anticipée, le médecin du travail sera sans doute impliqué dans la recherche d’éléments d’exposition professionnelle et de lien avec une lésion, comme en matière de reconnaissance de maladie professionnelle. La loi sur la pénibilité et ses décrets d’application vont donc demander un investissement des équipes de santé au travail qui exigera de repenser leurs pratiques et leurs responsabilités.

10/ On peut penser que l’employeur aura une obligation de plus en plus forte en matière de traçabilité des expositions au risque de ses salariés. Qu’en pensez-vous sur le plan juridique ?

SFQ: La traçabilité des expositions professionnelles est devenue une exigence incontournable pour l’employeur, comme pour les équipes de santé au travail. La défaillance de l’employeur engagera sa responsabilité civile (perte de chance d’être indemnisé ou de bénéficier d’un avantage médico-légal), et pénale, puisque la non traçabilité équivaut à une négligence de l’obligation de prévention et donc de sécurité de résultat.

11/ Comment voyez-vous les grandes évolutions du droit de la santé au travail pour les 5 à 10 ans à venir ?

SFQ: Les prochaines années vont constituer un défi pour tous, dans la mesure où il faudra que le législateur et les partenaires sociaux arrivent à rendre le dispositif de prévention opérationnel, plutôt que de continuer à juxtaposer des mesures. Leur mise en oeuvre est toujours plus difficile car elles sont peu lisibles quant aux objectifs et redondantes quant à leur élaboration. Ce sera aussi un défi pour les différents acteurs qui devront mieux circonscrire leurs responsabilités propres sans excès ni défaut. Ceci nécessite des informations cohérentes, pédagogiques et concrètes… Le droit de la santé au travail a toutes ses raisons d’être : il faut simplement lui donner les moyens d’être efficace.

BIOGRAPHIE express

Née en 1970 à Roubaix, Sophie Fantoni-Quinton est médecin à 27 ans, docteur en droit à 35 ans. Travaillant au Centre de Consultations de pathologies professionnelles au CHRU de Lille, elle est responsable du Centre régional de réponses téléphoniques et de ocumentation CHRU-ISTNF, du Centre régional d’écoute et d’accompagnement « Cancer, maladie chronique, maintien dans l’emploi », de la veille juridique pour le site istnf.fr, membre de l’équipe de recherche du Centre « Droit et perspectives du droit » en droit-santé-travail de l’Université de Lille II.

1997
Docteur en Médecine

1999
Diplôme d’études approfondies en Droit social
Diplôme d’Etudes Spécialisée en Médecine du Travail

1999-2002
Assistant Hospitalo-Universitaire au CHRU de Lille

Depuis 2003
Praticien Hospitalier temps plein titulaire au CHRU de Lille

2005
Docteur en Droit
Sophie Fantoni-Quinton participe à de nombreux enseignements et de nombreux travaux de recherche. A son actif : plus d’une centaine de publications scientifiques, rapports et communications.

(Publié dans le N°16 : Nouvelles obligations dès 2012) le 09/12/2011