Dans la société, la médiation prendra une place croissante

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Il faut rester attentif à la communauté de travail et développer le sens de l’investissement partagé »

Pour Jean-Paul DELEVOYE, le dialogue et la médiation sont de première importance dans la vie économique et sociale. Egalement dans la société, au sens large. Il a été chef d’entreprise. Il est maire de Bapaume dans le Pas-de-Calais. Il préside aujourd’hui le Conseil Économique, Social et Environnemental. Il a été Médiateur de la République pendant 7 années. Des années très denses d’expériences au service de l’usager face à l’administration. Ses propos relèvent donc d’une pratique avertie de l’écoute et de la conciliation. Ils sont directs, concrets et « plein d’énergie ». Une énergie calme et communicative.

E&S : Vous avez été médiateur de la République de 2004 à 2011. Vous avez créé un département traitant des questions de santé. Pourquoi ?

JPD : Le Médiateur de la République, aujourd’hui devenu le Défenseur des Droits, a une mission de médiation entre l’usager et le service public. Quand l’usager s’estime injustement traité par l’administration, il peut saisir le Médiateur de la République. Dans l’ensemble des services publics, il existe la santé. Mais c’est un domaine spécifique, professionnel et technique. La Haute Autorité de Santé (HAS) avait créé en son sein, un pôle « maladie nosocomiale ». Mais elle ne pouvait pas, à la fois, intervenir sur la certification de la qualité et répondre aux critiques de l’usager… Le Pr Degos, alors président de la HAS, m’a donc demandé de créer une instance indépendante entre l’usager et l’administration. D’où la création, au sein de la Médiature de la République, du Pôle Santé Sécurité Soins (« Pôle 3S »). Lors de sa création, nous nous étions interrogés sur son développement. Très rapidement, nous avons été surpris par le nombre de sollicitations, venant autant du monde des professionnels, notamment médicaux, que des usagers… Il y a un constat : il n’y avait pas de lieu d’écoute dans le monde hospitalier quand une situation était préoccupante. Ce monde était même tétanisé par l’erreur médicale, largement médiatisée. Alors que l’erreur est peu répandue, au regard de la prise de risque. Restaurer le dialogue permet d’éviter des litiges. Ces litiges concourent au risque de « burn-out » des professionnels et alimentent des tensions inutiles au sein du monde hospitalier.

E&S : En tant que Médiateur de la République, avez-vous eu des questions de santé au travail à traiter ?

JPD : Oui, bien sûr. Assez rapidement. Au point de demander la création d’un observatoire national des suicides au travail qui fait d’ailleurs aujourd’hui l’objet d’une saisine au Conseil Économique, Social et Environnemental dont je suis devenu désormais Président.. J’ai également été confronté aux problématiques des prisons… Nous entrons dans une société que j’appelle de « cerveau d’œuvre », au lieu d’une société de main d’œuvre… L’épanouissement et le bien-être au travail doivent être intégrés. Je suis intervenu aussi sur des questions de handicap, de classification de Maladie Professionnelle. Il existe des zones de non-droit ou de conflit de droit ! Par exemple, un salarié peut être remis au travail par le médecin de la Sécurité Sociale et ne pas pouvoir reprendre son poste pour le médecin du travail. Il y a absence de coordination et manque de dialogue entre le médecin du travail et le médecin de la Sécurité Sociale, le médecin du travail et le médecin d’entreprise. Face à un handicap, un salarié s’est vu proposer une retraite anticipée, créant de ce fait une situation de précarité dramatique !

E&S : Pour vous, la médiation a-t-elle une place particulière en santé au travail ?

JPD : Dans la société, la médiation prendra une place croissante. Ce phénomène n’est pas uniquement français. Quand il y a souffrance, les gens sont vite isolés. Il y a souvent une perte de confiance en soi. Et la situation tourne souvent au conflit, plutôt que d’aller vers le dialogue. Or, c’est le dialogue qui est important ! La médiation est un lieu neutre, indépendant, pratiquant l’empathie et clarifiant les droits et devoirs de chacun. C’est un espace de conciliation. La médiation s’avère de plus en plus nécessaire dans les entreprises et l’administration.

societe

E&S : Vous avez publié en 2009 un rapport sur l’état de la France. Vous parlez de souffrance de nos concitoyens. Pouvez-vous nous en dire deux mots ?

JPD : Nous sommes dans une société où l’individu prend de plus en plus d’importance. La gestion de l’individu est devenue collective. Mais de nombreux pouvoirs sont encore « supérieurs ou au-dessus ». La gestion des individus est encore verticale, alors qu’elle doit être aujourd’hui horizontale. Il ne s’agit plus d’être au-dessus mais au cœur de la société pour un politique, au cœur de ses équipes pour un manager. L’individualisme nous rend plus inventifs individuellement mais nous avons moins de résistance à la souffrance et à la douleur. Il apparaît une fatigue psychique importante chez nombre de nos concitoyens. La gestion de l’ordinateur et d’internet fait que l’on parle de plus en plus, mais on écoute de moins en moins. La vie privée est de moins en moins préservée du fait des réseaux sociaux. Il y a aussi une exigence croissante de performance. Tout ceci nuit à l’épanouissement de l’individu. Ceci pose la question du management moderne au sein duquel il n’y a pas de considération, d’estime de soi, de reconnaissance, de sécurité alors que des objectifs sont à atteindre… Ceci aboutit à une élévation de la souffrance, notamment au travail.

E&S : Vous êtes président du CESE (Conseil Économique, Social et Environnemental) depuis 2010. Quel est son rôle ?

JPD : Le Conseil Économique, Social et Environnemental a acquis un rôle plus important depuis la dernière révision constitutionnelle. Le Président de la République, le Premier Ministre, les présidents de l’Assemblée Nationale et du Sénat peuvent le saisir, à titre consultatif, dans le cadre de la préparation des lois sur le plan économique, social et environnemental. Sa composition est paritaire : autant d’hommes que de femmes. Les jeunes y sont représentés en nombre important. Au sein du CESE, les artisans, commerçants et agriculteurs, les organisations professionnelles, les syndicats de salariés, les associations, représentants de la société civile organisée, se rencontrent et dialoguent. Ceci lui confère un rôle unique pour anticiper les évolutions sociétales et sociales, dans le cadre de l’élaboration des politiques publiques. Le CESE est une force de propositions qui s’inscrit dans le « temps long ». Il réfléchit sur le moyen et le long terme. Il défend la notion de progrès soutenable.

E&S : Dans le cadre des dialogues entre partenaires sociaux et représentants de la société civile, quelle est la place de la santé au travail ?

JPD : Elle est très importante, bien sûr ! La santé au travail est partie intégrante de la vie économique et sociale. C’est aussi une question de société. Elle rentre dans le champ de réflexion du CESE à travers de nombreuses questions. Par exemple, nous avons traité des relations entre l’illettrisme et le travail. Il y a une souffrance au travail qui est très spécifique des situations d’illettrisme. Sur un plan plus général, le bien-être au travail est une question qui reste d’actualité. Et cela, pour longtemps. C’est une question centrale pour toute entreprise, quelles que soient sa taille et son activité. Je citais également tout à l’heure notre travail en cours de réalisation sur la problématique du suicide et de sa prévention, y compris au travail.

E&S : Comment voyez-vous la place et l’avenir de la santé au travail pour une TPE et une PME ? Quel conseil donneriez-vous ?

JPD : La santé au travail est un élément de plus en plus important pour la vie d’une entreprise. Elle s’imposera, de plus en plus, comme un élément fondamental pour l’activité de l’entreprise. Et donc, pour sa compétitivité et ses performances. Au sein de l’économie et de la société, les entreprises de petite taille ont une place très importante. Pour une TPE ou une PME, la difficulté majeure du chef d’entreprise est que la société devient de plus en plus complexe. La multiplicité des contraintes extérieures, économiques, fiscales et bancaires, et la conjugaison de plusieurs facteurs qui échappent au chef d’entreprise, créent de véritables « tempêtes », au sein de laquelle il faut tenir coûte que coûte. Dans ces tempêtes, il faut rester attentif à la communauté de travail. Il faut développer le sens de l’investissement partagé. Il ne faut pas rester seul. Il faut « jouer collectif » au sein de l’entreprise et à l’extérieur. Il faut jouer sur le court et long terme. Je sais pertinemment que cela n’est pas facile. C’est pourtant la voie pour maintenir et développer une entreprise. Cela demande à de nombreux intervenants extérieurs de ne pas laisser seule l’entreprise. Et d’être en relation de dialogue, d’écoute, de compréhension et d’aide.

Biographie:

Né en 1947 à Bapaume, Jean-Paul DELEVOYE est d’abord directeur de société agro-alimentaire. De 1982 à 2002, et depuis 2004, il est maire de Bapaume, commune de 5 000 habitants, dans le Pas-de-Calais.
1974 :Conseiller municipal de la commune d’Avesnes-les Bapaume
1980-2001 : Conseiller Général du Pas-de-Calais.
Depuis 1982 : Maire de Bapaume.
1986-1988 : Député du Pas-de-Calais.
1992-2002 : Président de l’Association des Maires de France.
Depuis 1992 : Président de la Communauté de Communes de la Région de Bapaume.
1992-2002 : Sénateur du Pas-de-Calais.
1998 : Participe à l’étude « Pour une approche globale du temps de l’enfant : l’expérimentation des rythmes scolaires ».
1999-2000 : Dirige la mission sénatoriale d’information chargée de dresser le bilan de la décentralisation et de proposer les améliorations de nature à faciliter l’exercice des compétences locales. Conduit le groupe d’étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics au ministère de la justice.
1999 : Dirige la rédaction du rapport « Cohésion sociale et Territoire » pour le commissariat au plan.
2002-2004 : Ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l’État et de l’Aménagement du territoire.
2004-2011 : Médiateur de la République.
2009 : Publie un rapport France sur l’usure psychique de la France.
Depuis 2010 : Président du Conseil Économique Social et Environnemental.
Ouvrage : Reprenons-nous ! Ed. Tallandier, janvier 2012

(Publié dans le N°19 : Machine, mon amie) le 18/07/2012