Votre assurance vous assure-t-elle ?

Partager

En matière de faute inexcusable, chaque employeur et chaque salarié ont des droits et des devoirs  

L’employeur ne peut donc plus plaider le fait qu’il n’était pas informé par la CPAM. Attention au contrat d’assurance …

En matière de faute inexcusable, chaque employeur et chaque salarié ont des droits et des devoirs. Le droit résulte autant des textes de loi (adoptés par le parlement), que des décrets d’application (pris par le ministère) et de la jurisprudence (rendue par les juges). La jurisprudence et les lois ont récemment fait bouger les lignes… Avec une conséquence vitale pour l’entreprise : est-elle bien assurée ? Doyen de la faculté de droit de l’Université de Lille II, enseignant de droit social et directeur du laboratoire de droit social et du Master II de droit social, le professeur Bernard Bossu a livré à Entreprise & Santé son analyse des évolutions récentes, en matière de faute inexcusable.

Bernard Bossu, Doyen de la Faculté de droit, Université de Lille II

Comment comprendre les évolutions actuelles ?

Bernard Bossu  : En se resituant par rapport à l’histoire. En l’occurrence : la loi du 9 avril 1898… Elle a créé la réparation forfaitaire automatique en cas d’accident du travail. Nous étions au XIXème siècle. Auparavant, en cas d’accident lié au travail, le salarié devait prouver la faute de l’employeur et il perdait ses revenus. Avec cette loi, la réparation existe en cas d’accident du travail. Elle est forfaitaire. Elle n’est pas totale : elle ne répare pas tous les préjudices. C’est une loi de compromis. L’employeur a une immunité sur le plan civil. Il ne peut pas y avoir d’action au civil pour réparations complémentaires, sauf recours du salarié pour faute inexcusable de l’employeur. Or en responsabilité civile, beaucoup de situations ont admis le principe de réparation intégrale automatique. Par exemple, c’est le cas des accidents de circulation avec la loi Badinter.

assurance

Que s’est-il passé pour les accidents du travail et les maladies professionnelles ?

Bernard Bossu  : Un arrêt de la cour de cassation en date du 28 février 2002 a fait bouger les choses. Il a donné une nouvelle définition de la faute inexcusable de l’employeur. A partir de cette date, il suffit de démontrer deux éléments pour mettre en jeu la faute inexcusable : l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il a exposé son salarié et il n’a pas pris les mesures nécessaires pour le préserver de ce danger. Par exemple, en cas de suicide sur le lieu de travail, si la fragilité psychique du salarié était connue, il peut être considéré que l’employeur avait conscience du danger. Il en est de même en cas de mauvaise ambiance et de vexations : il peut être considéré que l’employeur avait conscience du risque de harcèlement moral. Il en est de même pour l’interdiction de tel ou tel matériau.

Et depuis deux ans ?

Bernard Bossu  : La reconnaissance d’AT-MP (Accident du Travail ou Maladie Professionnelle) permet d’obtenir réparation pour le dommage corporel, les frais médicaux, les indemnités journalières pour compensation des salaires perdus en cas d’arrêt temporaire de travail et une rente en cas d’incapacité permanente. En cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, la rente peut être majorée au titre de la réparation d’autres préjudices. Par exemple : souffrance physique et morale, préjudice d’agrément du fait de ne plus pouvoir pratiquer un sport, préjudice esthétique, etc. Mais, même en cas de faute inexcusable, il existe des préjudices « non réparés ». Par exemple, même avec un taux d’invalidité important, le réaménagement de l’appartement ou l’acquisition d’un véhicule aménagé n’est pas pris en charge… Ces préjudices non réparés sont-ils contraires à la Constitution, au regard du principe d’égalité devant la loi. Voici la question qui était posée par QPC (Question Prioritaire de Constitutionalité), au Conseil Constitutionnel…

assurer

Quelle en a été la réponse ?

Bernard Bossu : En date du 18 juin 2010, le Conseil Constitutionnel valide que le principe d’une réparation automatique forfaitaire n’est pas contraire à la Constitution. Il a donc « consacré » la loi de 1898… Mais quand intervient la faute inexcusable, la réparation du préjudice ne saurait faire obstacle à ce que les victimes puissent demander réparation de l’ensemble des dommages non couverts par la législation AT-MP. En cas de faute inexcusable, le préjudice doit être réparé complètement. En d’autres termes, l’indemnisation est de plus en plus large.

Y’a-t-il eu d’autres évolutions récentes ?

Bernard Bossu : Oui. Le 4 avril 2012, la 2ème chambre civile de la cour de cassation a rendu quatre arrêts. Des préjudices non indemnisés en droit commun peuvent faire l’objet de demande d’indemnisation complémentaire en cas de faute inexcusable. Le champ des préjudices indemnisables sous condition de faute inexcusable s’est élargi. Par exemple, l’aménagement du logement ou l’adaptation du véhicule peuvent être indemnisés. S’agissant du préjudice sexuel, les frontières ont bougé. Auparavant, il appartenait au préjudice d’agrément. Aujourd’hui, c’est un préjudice autonome qui ouvre droit à indemnisation spécifique.

Et pour les frais médicaux, par exemple…

Bernard Bossu : Les frais médicaux et assimilés sont déjà pris en charge sur la base des tarifs opposables, dans le cadre de la législation AT-MP. Dans ce cadre, les dépassements d’honoraires ne sont pas pris en charge. Dans ses arrêts du 4 avril 2012, la cour de cassation considère qu’en cas de faute inexcusable, les CPAM indemnisent même les dépassements d’honoraires, et se retournent ensuite contre l’employeur.

Y’a-t-il eu d’autres évolutions récentes ?

Bernard Bossu : Oui. Dans son arrêt du 29 mai 2013, la Cour de Cassation considère que l’indemnisation du salarié victime d’un AT ou d’une MP passe par le droit du Code de la Sécurité Sociale et non pas par l’obligation de sécurité de résultat, pris en application du Code du travail. En d’autres termes, les salariés ne doivent pas instrumentaliser l’obligation de sécurité de résultat devant les prudhommes, en évitant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale (TASS). Par exemple, en cas d’accident du travail, s’il est établi qu’un employeur a violé l’obligation de sécurité de résultat, la réparation du préjudice relève du TASS et non pas des Prudhommes. En outre, la Loi de Financement de la Sécurité Sociale (LFSS) en date du 17 décembre 2012 impacte l’employeur et son assureur. La rente majorée en cas de mise en jeu de la faute inexcusable doit être remboursée immédiatement. Il ne peut pas y avoir échelonnement du paiement du capital représentatif de la rente majorée. Pourquoi ? Parce que les Caisses d’Assurance Maladie avaient souvent des difficultés à obtenir le remboursement des majorations liées à la reconnaissance de la faute inexcusable. L’entreprise doit donc être bien assurée… Elle doit le vérifier.

C’est tout ?

Bernard Bossu : Non. Les CPAM instruisent les demandes de reconnaissance AT-MP et la loi impose à la Caisse l’obligation d’informer l’employeur sur la procédure et les pièces à fournir. La procédure est, de droit, contradictoire. Certaines CPAM maîtrisent mal cet aspect de procédure, pourtant essentiel sur le plan juridique. Or, si la CPAM prend en charge l’AT ou la MP alors que l’employeur n’est pas informé et que la procédure n’est pas contradictoire, la prise en charge demeure valable pour le salarié et la décision est inopposable à l‘employeur… C’est très important en cas de faute inexcusable. Normalement, en cas de vice de procédure, la CPAM ne peut pas reporter sur l’entreprise le coût de l’indemnisation complémentaire lié à la reconnaissance de la faute inexcusable. Or, en application de l’article L 452-3-1 du Code de la Sécurité Sociale, depuis la Loi de Financement de la Sécurité Sociale (LFSS) du 17 décembre 2012, l’employeur a obligation de s’acquitter des sommes consécutives à la reconnaissance de la faute inexcusable, quelles que soient les conditions d’informations de l’employeur par la CPAM. L’employeur ne peut donc plus plaider le fait qu’il n’était pas informé. Attention au contrat d’assurance…

Quel est le sens général de ces évolutions ?

Bernard Bossu : Le législateur et les juges essaient de mieux indemniser les victimes d’AT-MP. C’est légitime. Mais avec une difficulté majeure : aller trop loin, c’est prendre le risque de mettre dans de graves difficultés des TPE et PME, dont l’assurance serait insuffisante.

Biographie express

Bernard Bossu nous a reçus avec didactisme et professionnalisme. Ces deux qualités nous ont permis de comprendre le droit, dans un langage simple, et d’en saisir les évolutions et les logiques sous-jacentes. L’interview en est la traduction. La brièveté de sa biographie est liée à la simplicité de l’homme et de sa modestie. Très souvent, la modestie est liée à une grande compétence !

Fonctions :
Professeur agrégé des facultés de droit à l’Université de Lille 2, classe exceptionnelle

Titre universitaire :
1993 : Doctorat de Droit privé (Nouveau Régime)
Titre de la thèse : La remise en l’état en droit du travail

  • Activités de recherche :*
    - Directeur de l’équipe de recherches en droit social (LEREDS)
    - De nombreuses publications dans des revues juridiques nationales (JCP social notamment)

Fonctions administratives :
- Doyen de la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille 2 depuis 2007
- Directeur de l’Institut de la construction, de l’environnement et de l’urbanisme
- Directeur du Master professionnel de droit social de l’Université de Lille 2

(Publié dans le N°25 : Ca s'est passé près de chez vous!) le 12/02/2014