« SAVOIR DEMANDER A TEMPS LA RECONNAISSANCE DE TRAVAILLEUR HANDICAPÉ »

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Beaucoup de MDPH ont une convention avec les services de santé au travail. C’est le cas avec l’ASMIS dans le département de la Somme. Cela permet une procédure plus rapide pour le salarié

Il ne faut pas attendre qu’il y ait une incompréhension autour de la personne concernée…

Chacun d’entre nous peut voir ses capacités mentales ou physiques réduites du fait d’une maladie invalidante ou d’un accident de la vie. Le dossier central du numéro 25 d’Entreprise & Santé (1er trimestre 2014) a été consacré au maintien dans l’emploi. La Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH) est nécessaire pour l’obtention de certaines aides pour l’aménagement du poste de travail au sein de l’entreprise ou pour la reconversion professionnelle. Encore faut-il la demander à temps   ! La demande est à faire auprès de la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH) de votre département de résidence. Nous avons interviewé Isabelle Depoorter, Chef du service « Pôle Adultes-MDPH 80, Missions Instruction et Evaluation, référente Insertion Professionnelle. Elle collabore régulièrement avec l’ASMIS, service de santé au travail d’Amiens, dans le cadre d’une convention signée en 2011. Un entretien plein d’humanité.

Que veut dire « RQTH » ?

Isabelle Depoorter : Cela veut dire « Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé ». Cette reconnaissance s’acquiert sur demande du salarié auprès de la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées). Au sein de celle-ci, la Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées statue après instruction du dossier. Cette reconnaissance et ses critères d’attribution sont déterminés par le cadre règlementaire et législatif relatif l’emploi des personnes handicapées. Attention, ce cadre comporte d’autres dispositions d’acquisition au critère de l’obligation d’emploi utile pour la déclaration annuelle : Allocation Adulte Handicapé, Carte d’invalidité, etc. La Pension d’Invalidité, accordée par L’Assurance Maladie, fait également partie des critères de l’OETH (Obligation d’Emploi des Travailleurs Handicapés)… Le Code du travail (Art.L5213-1) qui détermine le statut de Travailleur Handicapé prend en compte le handicap au sens large : déficit physique, sensoriel, mental ou psychique. Soyons précis : être reconnu Travailleur Handicapé ouvre des droits et des aides en matière d’emploi. Ces droits et ces aides sont à mettre en perspective des choix en matière de politique du handicap de l’employeur. En l’occurrence, est-il prêt à réaliser des aménagements de poste ? Travailler à la reconversion des salariés ?

En quoi la RQTH est-elle importante ?

Isabelle Depoorter : C’est important pour le salarié et son employeur. Par exemple, l’intervention gratuite du SAMETH n’est possible que si le salarié est reconnu Travailleur Handicapé. Le SAMETH aide l’employeur et son salarié, pour l’obtention d’aides financières ou techniques relevant de l’AGEFIPH : étude ergonomique, aménagement de poste, appareillage nécessaire au maintien dans l’emploi, etc. Il peut y avoir d’autres prestations compensatoires du Handicap pour la personne concernée dans le cadre du droit commun : Allocation Adulte Handicapé, Prestation de Compensation du Handicap pour le fauteuil ou encore pour les prothèses, la prise en charge du surcoût lié au transport adapté, etc. L’idée de compensation était déjà présente avant la loi de 2005. Cette dernière grande loi en faveur des personnes handicapées a élargi le champ des possibles dans la sphère privée tout en permettant une combinaison d’aides plus étendues pour le champ de l’emploi.

Existe-t-il des freins ou des résistances au sein des entreprises ?

Isabelle Depoorter : La question posée par le salarié et son employeur est simple. A quoi cela sert-il ? Le salarié peut parfois y voir une stigmatisation de son handicap. Alors que la volonté de la loi, c’est l’inverse ! Pour l’employeur, les freins ou résistances sont souvent liés à une simple méconnaissance des dispositifs qui sont à sa disposition.

Comment faire ?

 savoir

Isabelle Depoorter : Il faut EXPLIQUER et DIALOGUER. C’est fondamental pour la réussite du maintien dans l’emploi. Expliquer la RQTH sur son principe et ses conséquences. Expliquer ses avantages pour le salarié et l’employeur. Pour cela, le lien de proximité est essentiel. Il est nécessaire également d’ANTICIPER les situations et d’agir d’avantage sur le versant PREVENTION. Ainsi, il est important par exemple qu’au cours des soins, on pense déjà aux conséquences pour le travail et donc, à « cette RQTH ». Ce travail s’effectue en lien avec les acteurs du médico-social ; le médecin traitant, les médecins hospitaliers, les assistants de service social, etc. Enfin, au moment de la reprise, l’interlocuteur du salarié sera son médecin du travail.

Justement, quel est le rôle du médecin du travail ?

Isabelle Depoorter : Le médecin du travail a un rôle fondamental et essentiel, dans cette nécessaire proximité avec le salarié et l’articulation avec l’employeur. Il est le seul à connaître simultanément le salarié, son poste de travail et son entreprise.

Y a-t-il des difficultés à la mise en œuvre de la RQTH?

Isabelle Depoorter : Parlons plutôt de complexités. Chaque situation est un cas particulier qui demande une analyse spécifique, associant de nombreux partenaires. Ceci explique les délais, liés aux temps d’études et d’instructions. Ceux-ci sont considérablement raccourcis quand il y a une concertation précoce, une coopération et une coordination entre tous les acteurs.

Et au niveau du salarié?

Isabelle Depoorter : C’est tout un processus d’acceptation de la différence qui se met en marche : « Ce que je faisais hier… Je ne peux plus le faire ». Cela demande un temps d’adaptation… Ce n’est pas facile. Il faut être en capacité de parler de ses nouvelles contraintes. Et être écouté. Il y a toujours une étape ou la personne concernée est prête à en parler. Il ne faut « louper » cette étape. Parfois, c’est long. Pour réussir, il est nécessaire de respecter cette temporalité.

Quelles sont les modalités pour obtenir la RQTH ?

Isabelle Depoorter : Premier temps : Il faut faire une demande auprès de la MDPH, avec le formulaire CERFA dédié, qui est d’ailleurs identique au sein de chaque département. La MDPH a un délai de 4 mois pour répondre. Un encart est prévu dans le formulaire qui permet d’objectiver les attentes et les besoins, de préciser en quoi il y a une incidence sur le travail, voire d’évoquer la reconversion professionnelle. Il faut expliciter les interactions du handicap avec le poste et la situation de travail. Il faut joindre les éléments médicaux : certificat du médecin traitant, des médecins spécialistes, du médecin du travail. Deuxième temps : une évaluation pluridisciplinaire avec des spécialistes du travail est réalisée. A l’instar de Cap Emploi, du SAMETH, de représentants de centres de rééducation, etc. La MDPH s’attache à regarder l’orientation professionnelle et la formation s’il y a une problématique de reconversion. A ce titre, la commission (CDAPH) peut proposer un bilan en centre de pré-orientation. La CDAPH préconise des dispositifs, aides ou prestations en laissant le libre arbitre à la personne. Par exemple, régulièrement des situations de reconversion dans le cadre de salariés du bâtiment se présentent à nous. Dans ce cas, la MDPH peut se prononcer en faveur d’un bilan de pré orientation en Centre de réadaptation professionnelle, en sachant que l’accord du salarié est toujours recherché.

Que dire des relations avec le service de santé au travail ?

Isabelle Depoorter : Les services de santé au travail sont des partenaires capitaux, dans la constitution des dossiers et l’analyse des situations individuelles. D’ailleurs, beaucoup de MDPH ont une convention avec les Services de Santé au travail. C’est le cas avec l’ASMIS dans le département de la somme. Cela permet une procédure plus rapide.

Quels conseils donneriez-vous?

Isabelle Depoorter : Au niveau de l’entreprise, il faut surtout ne pas hésiter à communiquer auprès de ses salariés. Il faut faire comprendre que, avec un handicap, on peut retrouver sa place dans l’entreprise, dans le monde du travail et, de manière plus large au sein de la société. Il ne faut pas attendre qu’il y ait une incompréhension autour de la personne concernée… Par exemple, j’ai le souvenir d’un salarié qui a fini par s’isoler dans un « open-space », du fait d’une surdité évolutive. Il y a eu une vraie incompréhension de la part de ses collègues, jusqu’au moment où il a eu le courage d’en parler !

Que dire de plus ?

Isabelle Depoorter : Peut-être tout simplement redire que tout cela n’est pas si simple. Ni pour la personne concernée et pas d’avantage pour l’entreprise. D’ailleurs, il est important de savoir que la notification RQTH est transmise à la personne et à elle seule. C’est elle qui choisit de la présenter ou pas à son employeur. Il faut donc qu’elle ait confiance. Il faut ne pas avoir peur du regard des autres, accepter cette différence avec une volonté de bien faire avec tous…

Quelles sont les clés de la réussite ?

Isabelle Depoorter : Savoir poser les mots. Informer, former. Aller au bout de la démarche vis-à-vis des acteurs de l’entreprise avant qu’une difficulté ne soit insurmontable… Ne pas aborder la question de manière individuelle. Expliquer aux collègues, aux cadres. C’est quoi le « handicap » ? Ne pas être démuni, chacun à son poste, devant le salarié qui revient. Être en capacité de répondre aux questions des collègues.

Il y a donc un travail de vulgarisation…

Isabelle Depoorter : Tout à fait ! Nous participons à des journées d’échanges et d’information. Il nous faut évoquer le retour à la vie sociale et professionnelle, au maintien de l’autonomie. Il y a une véritable culture à développer au sein des entreprises et au sein de la société. Anticiper et prévenir les difficultés, pour ne pas arriver trop tard face à un cas particulier. C’est quoi le « handicap » ? Ne pas être démuni, chacun à son poste, devant le salarié qui revient. Être en capacité de répondre aux questions des collègues.

Chacun d’entre nous a donc un rôle à jouer en amont…

Isabelle Depoorter : Oui. D’autant plus que le handicap peut survenir à chacun d’entre nous. La question est : Qu’est-ce que je peux faire, moi ? En temps qu’employeur, je peux mener une réflexion en amont. Par exemple, prendre conscience que tel geste professionnel répétitif peut amener telle lésion à terme… Une autre situation si elle n’est pas suffisamment sécurisée peut générer des accidents… Ne pas oublier la notion d’ « aménagement raisonnable » du poste de travail. Devant un salarié de 50-55 ans, pour qui « tout bascule » avec la question de la RQTH, je ne peux m’empêcher de penser aux responsabilités des uns et des autres. La prévention a sa place très en amont dans l’entreprise. C’est important.

1.Service d’Appui au Maintien dans l’Emploi des Travailleurs Handicapés.
2. Agence de GEstion du Fonds pour l’Insertion Professionnelle des Personnes Handicapées.

(Publié dans le N°26 : Des réponses à vos questions) le 19/05/2014