Bernard Fontaine, Médecin du Travail, Toxicologue européen

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Entreprise & Santé a souhaité rencontrer Bernard Fontaine, au moment où il s’engage dans une nouvelle vie, du fait de son départ en retraite. Référence nationale en matière de médecine du travail et internationale en matière de toxicologie industrielle, le docteur Bernard Fontaine a vécu, de l’intérieur, le passage de la médecine du travail à la santé au travail. Tant au niveau des textes de loi, du fait de son attention au droit, que de l’évolution des pratiques professionnelles, du fait de son expérience auprès des salariés et des entreprises. Il a également vécu les évolutions relatives à l’organisation des services de médecine du travail, devenus services de santé au travail dès 2002. Très attentif à la rigueur scientifque et juridique, il reste attaché aux fondamentaux de la médecine du travail. Il nous livre son regard vis-à-vis des entreprises. Un entretien riche d’expériences.

Pour une TPE, que faut-il retenir ?

Bernard Fontaine : Il faut anticiper. En termes de gestion, c’est logique pour une TPE. Et donc c’est logique aussi en termes de santé de son ou ses salariés. La prévention s’applique « à la source », c’est-à-dire sur les expositions aux risques et les conditions de travail. Cette logique n’a pas varié depuis la création de la Médecine du travail en 1946. Elle s’applique à toutes les entreprises. Il faut tout faire pour que le salarié soit bien dans son entreprise. Sur ce plan, une TPE est plus fragile qu’une grande entreprise… En langage très simple, il faut que le salarié soit content d’aller au travail !

Pour vous, la santé au travail est synonyme d’entreprise durable… Pourquoi ?

Bernard Fontaine : C’est une évidence. Si les salariés vont bien, l’entreprise est plus performante. Si les salariés vont mal, l’entreprise est fragilisée. Face aux clients et aux aléas du marché, c’est capital. « Capital », sans mauvais jeu de mots ! Pour une TPE, c’est donc vital…

Comment faire ?

Bernard Fontaine : Avoir un bon dialogue avec son service de santé au travail est une nécessité. Avoir un bon dialogue au sein de l’entreprise est aussi essentiel. Le Document Unique d’Evaluation des Risques est une réelle et précieuse opportunité. Il ne doit pas être pris comme une contrainte légale et règlementaire supplémentaire, mais intégré dans une optique de développement durable. Et il faut donc savoir utiliser les compétences que le service de santé au travail apporte… et que l’entreprise a payées grâce à sa cotisation annuelle.

Et pour les visites médicales de médecine du travail ?

Bernard Fontaine : Certes, la visite médicale permet à l’employeur d’être en règle avec la loi, pour avoir l’avis d’aptitude médicale au poste de travail de chaque salarié. Mais l’employeur, en amont, doit avoir identifé les risques auxquels est exposé chaque salarié. Il doit savoir qu’il est passible de délit s’il n’applique pas les dispositions règlementaires, comme, par exemple, le respect des Valeurs Limites d’Exposition. Dans le cadre de cette obligation, il doit informer son service de santé au travail du résultat des mesures faites au sein de son entreprise. Tant que l’entreprise n’a pas transmis ces données, par exemple, la visite médicale a ses limites…

Minimiser aujourd’hui les expositions, c’est protéger les générations futures

Le plus important est donc d’agir en supprimant le risque à la source ?

Bernard Fontaine : Evidemment. C’est ce que nous appelons la prévention primaire. Mais cela ne dispense pas de déceler le plus tôt possible les atteintes éventuelles à la santé, grâce aux visites médicales. Il s’agit alors de la prévention secondaire, avec un retour sur l’état de santé collectif. C’est un droit pour l’employeur et la collectivité des travailleurs. Enfn, il peut y avoir une rupture d’équilibre entre la santé et le travail, quelle qu’en soit la cause. Et il faut alors enclencher une démarche de maintien dans l’emploi. La connaissance des relations entre le travail et la santé, qu’ont les professionnels de la santé au travail, permet également une orientation rapide vers les soins appropriés et la prévention primaire de différentes pathologies. Par exemple, en cas d’accident du travail particulièrement choquant, l’orientation immédiate du salarié vers le psychologue peut être de première importance pour éviter l’apparition d’un stress post traumatique.

Quel est le principal enjeu pour l’employeur ?

Bernard Fontaine : Alors qu’il y a allongement de la vie professionnelle, l’employeur doit mettre en retraite, à terme, des salariés en bon état. Et ceux-ci doivent être de plus en plus performants ! Or, à 55 ans, on a tous environ 80 % des possibilités de nos 25 ans… A raison de 35 heures par semaine, et 45 semaines sur une année, un travailleur consacre chaque année 1575 heures à son travail. Au bout de 42 années de cotisations, il aura consacré 66 150 heures à son travail et pourra faire valoir ses droits à la retraite. Or une machine est amortie au bout de 30 000 heures… Si une voiture roule à 50 km/h en moyenne, elle aura fait 1 500 000 km en 30 000 heures. Ceci donne une image de ce qui est demandé à l’homme au travail… Et combien il faut le préserver !

D’où l’importance de la prévention ?

Bernard Fontaine : Oui. Ces chiffres mis en miroir de l’entreprise parlent d’euxmêmes ! L’employeur a une priorité : la prévention collective avant tout. En cas d’Equipement de Protection Individuelle, le salarié ne les porte que s’ils sont « portables » et qu’il a conscience de la protection. Je dis souvent aux employeurs : « soyez irréprochables si vous êtes maître d’apprentissage ! ». Parfois, de jeunes apprentis ont déjà des indices biologiques d’exposition en plomb supérieurs aux normes après quelques mois d’apprentissage. Avec des taux de plomb dans le sang élevé qui ne vont s’éliminer que très lentement…

Quels sont les « nouveaux risques au travail » aujourd’hui ? Que penser, par exemple, des risques psychosociaux ?

Bernard Fontaine : Il faut rappeler que les risques psychosociaux sont générés par une organisation délétère du travail. Et le non respect de la politesse élémentaire au sens du respect de l’autre, de l’individu. Les certifcations sont, à ce niveau, très pathogènes. A-t-on écouté les gens pour créer les procédures ? L’environnement de travail joue aussi un rôle non négligeable. Les ambiances bruyantes, notamment par réverbération, augmentent le risque psychosocial. Les ambiances mal ventilées et mal aérées concourent à l’improductivité, la fatigue et l’énervement. Et tout est lié. La diminution des risques psychosociaux s’accompagnera d’une diminution de consommation d’alcool et/ou de tabac. A propos du « Lean Management », c’est comme si on passait de l’éthique à l’étique, le « h » représentant l’humain. On oublie l’homme. Et chaque fois que l’on oublie l’homme, il y a des soucis.

Avez-vous constaté des améliorations, par rapport au début de votre carrière ?

Bernard Fontaine : Certes. Il y a des risques de mieux en mieux gérés : le plomb, la silice qui cependant perdure dans certains cas, les hydrocarbures aromatiques polycycliques, sans oublier l’amiante… Avec la mise en place de date de péremption sur les ciments, on voit rarement aujourd’hui des eczémas du ciment. A propos des solvants, les technologies d’extractions des impuretés au benzène portent leurs fruits. Les éthers de glycols dangereux ont quasi disparu. Dans les carburants, il faut rester attentif à la présence de benzène, même si le taux est moindre. De ce fait, des métiers, comme les peintres en bâtiment, sont moins exposés aux solvants nocifs… Cependant, les peintres en bâtiment sont dans le groupe I vis-à-vis du risque de mésothéliome, de cancer du poumon et de la vessie. Alors que le soudeur a un risque ajusté sur le tabac évalué à 1,25 pour le cancer du poumon, les peintres en bâtiments sont à un risque de 2 !

Quelles sont les préoccupations les plus pointues ?

Bernard Fontaine : Minimiser les expositions, c’est protéger les générations futures. On sait aujourd’hui qu’Il existe des cancers « transgénérationnels ». C’est prouvé pour certains médicaments, certaines mycotoxines, la fumée de tabac, etc. Et vraisemblablement pour certains métiers, tels que les peintres en bâtiment… Il faut aussi être très attentif aux perturbateurs endocriniens. On sait aujourd’hui identifer le caractère perturbateur endocrinien de certaines substances. Il faut minimiser leurs impacts. Par exemple, le bisphénol (contenu dans les tickets de caisses), le cadmium, le styrène, etc.

Pouvez-vous nous donner des priorités d’actions ?

Bernard Fontaine : On peut en citer quatre. Premièrement : s’intéresser aux processus autant qu’aux produits. Par exemple, plus de 50 % des cancers du poumon des hommes habitant en Lorraine s’explique par trois facteurs professionnels : l’amiante, la silice et les hydrocarbures aromatiques polycycliques. Ces derniers proviennent, entres autres processus, des échappements de moteur Diésel. Aucune de ces expositions n’est véritablement étiquetée comme telle. Ce sont des expositions issues du processus de fabrication. D’où l’importance des dosages pour mesurer l’exposition réelle au poste de travail, réalisés avec les professionnels de la santé au travail. Deuxièmement : parmi les risques émergents, les nanoparticules représentent un risque potentiel très élevé. Elles ne font l’objet d’aucune obligation réelle d’étiquetage. Troisièmement : la dégradation de l’environnement se retrouve au sein des entreprises. Par exemple, les COV ou composés organiques volatils et l’ozone. Au dessus du périphérique parisien, en plein soleil, le taux d’ozone augmente… Il en va de même dans les entreprises, où la présence concomitante de vapeurs de certains solvants et d’UV peut aboutir au même résultat. Là encore, il s’agit d’un nouveau risque « non étiqueté ». Il faut y penser en analysant le processus de travail. Enfn, le monoxyde de carbone perdure. Il faut le traquer.

Que dire en conclusion ?

Bernard Fontaine : Il faut collaborer avec son service de santé au travail. Celui-ci n’est pas un organisme de contrôle. Le service de santé au travail est là pour rendre service au salarié et son entreprise. La Médecine du Travail est une spécialité dont on ne peut se passer. Même si son évolution est inéluctable.

Dessin
“Chaque fois que l’on oublie l’homme…Il y a des soucis”

BIOGRAPHIE express

Né en mai 1953 à Bruay-en Artois, au coeur du bassin minier, Bernard Fontaine a vu ses copains d’école perdre leur père de silicose…« A l’époque, l’espérance de vie des mineurs de fond était de 43 ans ». Dès l’obtention de son bac en 1969, Bernard Fontaine s’oriente vers des études de médecine à Lille. Après avoir exercé en médecine générale, il devient médecin du travail au CDMT (Comité pour le Développement de la Médecine du Travail), qui deviendra AMEST (Association de Médecine et de Santé au Travail) puis PÔLE SANTÉ TRAVAIL Métropole Nord. Médecin coordinateur depuis 1995, Bernard Fontaine est en outre une référence nationale et européenne en matière de toxicologie industrielle.
•1977 : Doctorat de médecine
•1978 : CES en Médecine du travail (Certifcat d’Etudes Spécialisées)
•1989 : CESAM, option recherche clinique (Certifcat d’Etudes Statistiques Appliqué à la Médecine) et épidémiologie
•1991 : DEA de Toxicologie, option toxicologie industrielle (Diplôme national d’Etudes Approfondies)
Sur la base de ses titres, de ses travaux scientifques et de son expérience, Bernard Fontaine est reconnu toxicologue européen (European Registry of Toxicologists). Au sein de PÔLE SANTÉ TRAVAIL Métropole Nord, il a mis en place une cellule de quatre toxicologues, qui peuvent assister les médecins du travail dans leurs interventions en entreprise.

(Publié dans le N°27 : Les solvants sont partout...) le 11/08/2014