Interview Stéphane Mathieu

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Directeur régional du groupe AFNOR depuis 2000, Stéphane Mathieu suit le projet « Santé et Qualité de Vie au Travail en Aquitaine © », lancé en 2012. Une expérience unique et innovante en France ! Ingénieur chimiste de formation, Stéphane Mathieu s’oriente dès 1992 dans le conseil en management des organisations. Il réalise alors de nombreuses missions d’accompagnement en qualité totale et certification ISO 9001. En 1995, il a rejoint l’AFNOR et suit plus particulièrement des travaux sur les systèmes de management : Qualité (série ISO 9000), Environnement (série ISO 14000), Santé et Sécurité au Travail. Il s’intéresse alors à une norme québécoise communément dénommée « Entreprise en Santé » (BNQ 9700-800). C’est avec passion, que Stéphane Mathieu a répondu aux questions d’Entreprise & Santé.

Qu’entend-on par Santé et Qualité de Vie au travail ?

Stéphane Mathieu : SQVT ou Santé et Qualité de Vie au Travail est une démarche innovante d’organisation qui vise le développement du capital humain. Elle repose sur un ensemble de pratiques de management et sur la promotion de comportements de santé en milieu professionnel qui ont un effet positif sur le bien-être au travail et la performance globale des entreprises.

Quelle est l’origine de cette approche ?

Stéphane Mathieu : L’origine de cette approche est double. En France, l’Accord National Interentreprises (ANI) de juin 2013 sur la Qualité de Vie au Travail (QVT) a permis de fixer un cadre de référence avec la mise en évidence de facteurs influençant le bien-être au travail tels que :
• Environnement (matériel, outils…)
• Opportunités de développement personnel et professionnel
• Contenu du travail, autonomie, auto-organisation
• Soutien managérial et soutien des collectifs
• Qualité du dialogue social
• Sécurité d’emploi
• Équilibre vie privée/vie professionnelle, etc.
D’autre part, au Québec, des démarches intitulées « Entreprise en Santé » se sont développées dès 2008 avec la publication d’une norme québécoise. Elles reposent sur une approche globale de la santé avec 4 grands domaines d’actions :
• Pratiques de management
• Environnement de travail
• Conciliation vie privée/vie personnelle
• Habitudes de vie.
Globalement, les démarches françaises (reposant sur l’ANI1) et québécoise sont proches. Par contre, une différence peut être constatée au niveau des « habitudes de vie » qui ne sont pas abordées dans l’ANI. Les « habitudes de vie » couvrent les comportements de santé tels que la prévention des addictions (alcool, tabac, drogues mais aussi jeux, internet, …) et la promotion de saines habitudes en termes d’alimentation, de nutrition et d’activités physiques et sportives…

Pourquoi la développer ?

Stéphane Mathieu : Les bénéfices pour les entreprises peuvent être multiples avec des effets positifs en termes de performance sociale et économique :
• Réduire l’absentéisme et améliorer le présentéisme
• Augmenter la satisfaction, l’engagement et la motivation des salariés
• Réduire le turn over du personnel et assurer un recrutement performant
• Diminuer les coûts en santé et sécurité au travail
• Améliorer la productivité, la performance de l’entreprise
• Améliorer l’image de l’entreprise et son approche éthique au niveau du facteur humain
• Devenir un acteur responsable de la société.
D’ailleurs, les démarches SQVT (Santé et Qualité de Vie au Travail) rejoignent, sur le fond, le concept RSE : Responsabilité Sociale des Entreprises.

Où en sont les entreprises dans le déploiement de l’approche SQVT ?

Stéphane Mathieu : Au niveau de la santé au travail et plus particulièrement la santé psychologique, on peut constater la montée en puissance des démarches RPS (Risques Psychosociaux) suite aux différentes crises suicidaires au début des années 2010. Aujourd’hui, les entreprises souhaitent aborder l’autre dimension de la santé au travail, celle qui est « positive » au travers de démarches de type SQVT ou « Entreprise en santé ». Cependant, le déploiement de ces démarches reste encore émergeant.

D’où l’expérimentation lancée en 2012 en Aquitaine…

Stéphane Mathieu : Oui. Tout à fait. Elle vise à explorer la dimension positive de la santé au travail au-delà des risques psychosociaux. L’enjeu consiste ainsi à :
• (Re)créer des milieux de travail favorables à la santé au sens de la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé selon laquelle : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité »
• Développer des comportements de santé et le bien-être au travail comme des leviers de la performance globale.
Cinq entreprises et une collectivité territoriale y participent : EHPAD de La Madeleine (Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes), EMAC (PME dans le domaine de la sous-traitance de l’industrie automobile), FINSA (PME dans la filière bois), La Poste (Direction du Courrier Aquitaine), VEOLIA PROPRETE Aquitaine, Conseil Départemental de Gironde. Au côté de l’AFNOR, s’associent de nombreux partenaires : la DIRECCTE Aquitaine, la CARSAT Aquitaine, l’ARACT Aquitaine, le Fonds National de Prévention (CNRACL), l’ARS Aquitaine, l’IREPS Aquitaine. Et les services de santé au travail. Notamment dans le cadre de l’évolution actuelle de la Médecine du Travail vers la Santé au Travail.

Qu’apportent les services de santé au travail ?

Stéphane Mathieu : Leur rôle est essentiel. Ils ont une expertise indéniable et une expérience incontournable. Ils répondent à un besoin et des attentes exprimées au sein de nombreuses entreprises : la qualité de l’environnement professionnel, la qualité des organisations, la question de la santé au sens large. Sur ce dernier point, on peut citer, par exemple, les questions relatives aux maladies chroniques évolutives et le retour à l’emploi, la place des entreprises dans la prévention des addictions ou des maladies cardio-vasculaires, l’importance du sommeil pour une vie saine, etc. Il existe, à mon sens, de vraies attentes sur l’adoption de comportements favorables à la santé.

Les québécois sont-ils en avance à ce sujet ?

Stéphane Mathieu : La dynamique « Entreprise en Santé » est partie d’une initiative entre les Pouvoirs Publics et les Employeurs. Les partenaires sociaux s’y sont également engagés. Le résultat en est l’élaboration d’un référentiel portant sur les bonnes pratiques managériales et opérationnelles favorables à la santé globale. D’où la publication, dès 2008, de la norme BNQ 9700-800 intitulée « Prévention, Promotion et Pratique organisationnelle favorable à la santé en milieu de travail ». Avec à la clé, une démarche de certification qui progresse petit à petit. Les québécois ont également une « culture » de l’évaluation. Au Canada, Desjardins est l’un des plus grand groupes coopératifs bancaires. Ils se sont engagés dans un mouvement et un programme en santé et mieux être. Au bout de trois ans, les résultats sont là : diminution de l’absentéisme de 28 %, diminution du taux de roulement de 54 %, diminution du tabagisme de 26 %, diminution du sentiment de déprime de 26 %, retour sur investissement de 1,50 à 3,00 $ par dollar investi. C’est encourageant…

En quoi l’AFNOR est-elle concernée par la Santé et Qualité de Vie au travail ?

Stéphane Mathieu : La mission de l’AFNOR est de bâtir des consensus et d’assembler des possibles. C’est au travers de cette mission que nous avons lancé une expérimentation en région Aquitaine voici 3 ans en présence de l’ancien Ministre de la Santé du Québec, Monsieur Roger Bertrand. Ce projet a été lancé suite à un témoignage en 2011 sur les retours d’expériences des démarches « Entreprise en Santé » avec des résultats significatifs en termes de performance sociale et de retour sur investissement de 3,00 $ par $ investi. Au niveau AFNOR, comme je vous le disais avec l’expérimentation en Aquitaine, nous avons donc mobilisé des entreprises pilotes pour explorer cette dimension « positive » de la santé au travail, co-construire des outils méthodologiques inspirés de la démarche « Entreprise en Santé » et les tester au travers de diagnostics croisés.
Parallèlement, au niveau national, AFNOR a signé un partenariat en février 2014 avec l’organisme québécois Groupe Entreprise en Santé pour déployer une offre de services SQVT en France avec des solutions en termes de formation, de certification de compétences et d’animations collectives.

Pour vous, la SQVT, c’est l’avenir !

Stéphane Mathieu : On perçoit nettement, depuis un an, un virage sur les questions de santé au travail. On bascule vers une pensée et un discours positifs, optimistes et constructifs sur ces questions complexes et sensibles. Il y a des volontés de changer. Dans cette perspective, l’approche québécoise est intéressante : elle est positive, pragmatique et préventive. Au-delà du constat des effets délétères pour la santé reliés à telle organisation ou tel environnement professionnel, les réflexions actuelles portent sur la préservation du capital humain et la recherche de démarches concrètes qui puissent y contribuer. Avec la définition et l’adoption de pratiques favorables à la santé. C’est un champ extraordinaire d’innovation sociale et organisationnelle. Le lien entre bien-être et performance de l’entreprise commence à être partagé. Des clignotants favorables sont nettement perçus. Attention aux conditions de réussite et de succès ! La Santé et la Qualité de Vie au travail et la Responsabilité Sociale des entreprises constituent des enjeux d’avenir pour chaque entreprise. Ces démarches ne réussiront que s’il existe une réelle implication de la direction, sans tomber dans la dérive d’un simple affichage. Sous ces conditions, il y a une nouvelle place à prendre pour les services de santé au travail et les partenaires sociaux. Pour de nombreuses organisations, il va falloir sortir des jeux de postures acquises. De nouvelles postures sont à conquérir !

Quel conseil donneriez-vous à un patron de TPE ou de PME ?

Stéphane Mathieu : Allez-y ! Ces démarches SQVT révèlent les vrais gisements de leur entreprise : ceux de leur capital humain. Elles sont sources de véritables innovations sociales et managériales. En termes de conseils, j’en citerai trois :
• L’engagement doit être sincère et durable
• La démarche doit impérativement reposer sur le volontariat au niveau des salariés
• Il convient d’adopter le principe des petits pas en encourageant l’adhésion progressive et en valorisant les succès au fur et à mesure.
Le fait que la direction engage une démarche sera perçu comme un vrai signe de reconnaissance « affective » au niveau des salariés d’une PME ou TPE. Leurs attentes sont incroyablement significatives sur ces questions de santé physique et psychologique.

« Aujourd’hui, les entreprises souhaitent aborder l’autre dimension de la santé au travail , celle qui est “positive” au travers de démarches de type SQVT »

(Publié dans le N°31 : Santé et Qualité de Vie au Travail: un + pour votre compétitivité) le 09/07/2015

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