Interview Matthieu Méreau: c’est à l’entreprise de parler elle-même de Santé au Travail

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Médecin de Santé Publique, Matthieu Méreau est le rédacteur en chef d’Entreprise & Santé. Diplômé de médecine du travail et de toxicologie industrielle, il a conçu Entreprise & Santé à la demande des services de santé au travail des régions Nord – Pas-de-Calais et Picardie. Il est également « patron » d’une TPE de deux salariées. Son approche est simple : c’est à l’entreprise elle-même de parler de santé au travail. Depuis sa création, Entreprise & Santé a ainsi publié plus de 300 témoignages d’entreprise. Des actions réalisées grâce à leur service de santé au travail. C’est-à-dire avec des médecins du travail, des infirmiers de santé au travail, des assistants de santé au travail, des secrétaires médicales, des ingénieurs et techniciens en Hygiène, Sécurité et Environnement, des toxicologues industriels, des ergonomes, des psychologues du travail, des assistants sociaux, etc.

Où en sont les entreprises vis-à-vis de la Santé au Travail ?

Matthieu Méreau : Plusieurs ont une représentation classique de la Médecine du Travail. Ces entreprises attendent les visites médicales d’aptitude pour leurs salariés et ne demandent rien d’autre. D’autres entreprises savent que la Santé au Travail va au-delà de la visite médicale d’aptitude. Elles utilisent alors leur Service de Santé au Travail comme conseiller pour des actions en entreprise, afin de préserver la santé des salariés. Et elles sont de plus en plus nombreuses à le faire.

Cela est inclus dans la cotisation ?

Matthieu Méreau : Oui. Et il y a un paradoxe à ce propos. Pendant de nombreuses années, des employeurs comparaient le coût de leur cotisation de Médecine du Travail pour un salarié au prix de la visite médicale chez le généraliste. Ils disaient ne pas comprendre la différence. Aujourd’hui, avec la santé au travail, on voit bien la différence. Par exemple, le médecin généraliste ne fait pas de toxicologie industrielle à propos d’un produit chimique ou d’ergonomie pour que les seniors puissent atteindre les impératifs de production… Ni d’accompagnement personnalisé pour le maintien en emploi d’un salarié dont la santé est en difficulté suite à un accident ou une maladie. Ni d’information pour le port des Equipements de Protection Individuelle (EPI) ou collective. Etc. On voit bien que la cotisation en Santé au Travail va beaucoup plus loin que la visite médicale.

Et la prévention de la pénibilité entre dans ce cadre ?

Matthieu Méreau : Avec leur Service de Santé au Travail, des entreprises n’ont pas attendu la loi sur les retraites de 2010 pour s’intéresser à la réduction de la pénibilité au travail. Je prends le terme réduction plutôt que prévention, par pragmatisme. C’était le terme souvent entendu, avant que le législateur fasse entrer explicitement la prévention de la pénibilité dans les obligations de l’employeur, au sein du Code du travail. A l’occasion, d’ailleurs, de la loi portant réforme des retraite de 2010, dite loi « Fillon ». Et les Services de Santé au Travail n’ont donc pas attendu cette loi pour apporter aux entreprises des ressources et compétences pour évaluer et prévenir la pénibilité d’une situation de travail. Pour exemple, s’agissant de la charge physique, des médecins du travail ont développé des méthodes et des cotations basées sur la fréquence cardiaque. Au moment de la parution de cette loi, les Services de Santé au Travail étaient prêts, depuis des années, pour conseiller les entreprises sur le sujet de la pénibilité au travail.

D’accord. Mais, aujourd’hui, la prévention de la pénibilité est inscrite officiellement dans les missions des Services de Santé au Travail ?

Matthieu Méreau : C’est vrai. Depuis la loi de 2011 portant réforme de l’organisation de la Médecine du travail. Sur un plan général, les Services de Santé au Travail ont pour mission de conseiller l’employeur, les salariés et ses représentants afin d’éviter toute altération de la santé des salariés du fait du travail. Selon les termes de la loi :
- ils conduisent les actions de santé au travail, dans le but de préserver la santé physique et mentale des travailleurs tout au long de leur parcours professionnel ;
- ils conseillent les employeurs, les travailleurs et leurs représentants sur les dispositions et mesures nécessaires afin d’éviter ou de diminuer les risques professionnels, d’améliorer les conditions de travail, de prévenir la consommation d’alcool et de drogue sur le lieu de travail, de prévenir ou de réduire la pénibilité au travail et la désinsertion professionnelle et de contribuer au maintien dans l’emploi des travailleurs ;
- ils assurent la surveillance de l’état de santé des travailleurs en fonction des risques concernant leur sécurité et leur santé au travail, de la pénibilité au travail et de leur âge ;
- ils participent au suivi et contribuent à la traçabilité des expositions professionnelles et à la veille sanitaire.
Ce qui est écrit est plus clair. Et cette réforme est en cohérence avec la réforme des retraites, publiée un an plus tôt.

Est-ce différent entre une grande entreprise et une petite entreprise ?

Matthieu Méreau : Oui. Le patron d’une TPE fait souvent le même boulot que ses salariés. Dans une TPE, le couvreur, par exemple, monte sur les toits avec ses salariés et effectue les mêmes tâches. Et il avance en âge, comme ses salariés… En plus, il assure les fonctions de gestionnaire et de commercial. La santé et la sécurité sont alors, ipso facto, une affaire partagée entre chacun, face aux mêmes risques. Quand l’entreprise grandit, le patron fait de moins en moins le même boulot que ses salariés. C’est simpliste, mais ce n’est pas faux.

Donc, dans une TPE, les conseils donnés par le Service de Santé au Travail sont utiles pour la santé du chef d’entreprise lui-même.

Matthieu Méreau : Pour moi, Oui. Sans équivoque. Par exemple, prenons un sujet d’actualité : particules diésel et garage. Dans un petit garage, le patron répare les automobiles avec son ou ses salariés. Et 80 % des entreprises adhérentes à un Service de Santé au Travail ont moins de 10 salariés. Grâce à son Service de Santé au Travail, une TPE ou une PME n’est pas seule devant les questions de santé et de risques professionnels. Grâce à son Service de Santé au Travail, elle a accès à des ressources humaines et des compétences qu’elle ne peut pas se payer. Contrairement à une grande entreprise…

Revenons à la pénibilité. Quels types d’action sont menés ?

Matthieu Méreau : Nous sommes restés dans le sujet… Les dispositions législatives et règlementaires relatives à la prévention de la pénibilité s’appliquent quelle que soit la taille de l’entreprise. Les actions publiées par Entreprise & Santé montrent que les Services de santé au Travail apportent des conseils experts sur toutes les questions soulevées par le Code du travail. Notamment sur les dix facteurs de risques visés par les textes législatifs et règlementaires. Rappelons qu’ils sont classés en trois familles par le législateur : contraintes physiques marquées (manutentions, postures, vibrations), environnement physique agressif (agents chimiques dangereux y compris fumées et poussières, milieu hyperbare, températures extrêmes, bruit), rythme de travail (travail de nuit, travail en équipes alternantes, travail répétitif caractérisé). Avec son Service de Santé au Travail, une entreprise peut aller plus loin. Par exemple, il existe des méthodologies d’évaluation et d’analyse du risque psychosocial que les Services de Santé au Travail maîtrisent. A chaque entreprise de bénéficier des conseils qui répondent à sa situation.

Comment définir la pénibilité ?

Matthieu Méreau : Elle peut être physique. Par exemple, cet effort m’est très pénible ; celui-ci m’est agréable. Elle peut être mentale. Par exemple, cette nouvelle que je viens d’apprendre m’est très pénible ; ou bien, j’ai du mal à supporter le stress de cette situation… La pénibilité a une dimension subjective. C’est indéniable. Et c’est toute la difficulté. Le législateur a donné une définition assez précise et assez générale de la pénibilité au travail. Les dix facteurs de risques cités supra ont pour point commun de « laisser des traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé ». Toute la difficulté est alors de définir, pour chacun des facteurs de risques cités ci-dessus, les seuils à partir duquel les partenaires sociaux s’accordent pour considérer qu’il y aura à terme des traces durables, identifiable et irréversibles pour la santé du salarié exposé. De nombreux auteurs recommandent de raisonner sur des métiers ou situations pénibles, plutôt que sur des facteurs de risques…

Ces actions de santé au travail sont-elles rentables ?

Matthieu Méreau : J’ai envie de dire question capitale, mais un peu simpliste. Certes, une entreprise privée qui perd de l’argent ne tient pas longtemps face aux banques… Surtout si elle est petite. Mais parle-t-on de rentabilité à court terme ou à long terme ? La dimension éthique et sociale est-elle prise en compte dans les bilans comptables ? En est-il de même pour les biens immatériels, dont la santé fait partie ? Tout en sachant qu’une personne en bonne santé, physique et mentale, est plus « performante » pour sa vie sociale, sportive, familiale… et professionnelle ! Cela paraît évident. Des économistes et des institutions s’intéressent aux impacts des investissements en Santé au Travail vis-à-vis des performances économiques des entreprises. Les anglo-saxons parlent du ROP : Return On Prevention pour évaluer le retour sur investissement des actions de Santé au Travail. Selon le type d’activité, d’action de prévention et d’environnement économique et social, les auteurs de différentes études constatent en Europe des retours de 1 à 8. C’est une question d’actualité, qui se développe au fur et à mesure que la Santé au Travail est reconnue comme étant un facteur de pérennité et de développement d’une entreprise, au-delà d’être une question sociale essentielle.

Quels conseils donneriez-vous à un patron ou une patronne de TPE ou PME ?

Matthieu Méreau : D’appeler et de rentrer en contact avec son Service de Santé au Travail. Car une TPE ou une PME est plus fragile qu’une grande entreprise en cas de problème de santé d’un salarié ou de son dirigeant. Réduire la pénibilité, préserver la santé du salarié et du dirigeant est essentiel pour la pérennité et le développement d’une entreprise. Surtout si elle est petite.

On voit bien que la cotisation en Santé au Travail va beaucoup plus loin que la visite médicale »

(Publié dans le N°32 : Pénibilité : moins de Pénibilité plus de performance !) le 23/11/2015

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