Interview : Claire Mounier-Vehier

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Le stress, aigu ou chronique, peut provoquer des accidents cardio-vasculaires

Le Professeur Claire Mounier-Vehier est passionnée. Passionnée par son métier : professeur de cardiologie à la Faculté de médecine et chef du service de Médecine Vasculaire et Hypertension Artérielle au CHRU de Lille. Passionnée par son engagement associatif le plus récent : présidente de la Fédération Française de Cardiologie. Passionnée par la vie, d’où son « militantisme » pour la prévention des maladies cardiovasculaires. Claire Mounier-Vehier est accessible. Cette simplicité démultiplie sa force de conviction, au service du grand public. Entreprise & Santé l’a rencontrée, au cours de l’une de ses multiples conférences.

Qui est concerné par le stress ?

Claire Mounier-Vehier : C’est simple. Personne n’est épargné par le stress, « mal du siècle ». Il est une réponse normale de l’organisme face à un ensemble de contextes modifiant son fonctionnement habituel. Il peut être positif et pousser à l’action ou à l’effort lors d’un challenge professionnel ou sportif. Mais le plus souvent, le stress est négatif et engendre des émotions désagréables.

Le stress est-il à l’origine de maladies cardio-vasculaires ?

Claire Mounier-Vehier : Oui, sans aucun doute. Le stress peut provoquer des accidents cardiovasculaires, en particulier s’il touche un organisme déjà fragilisé, chez une personne à haut risque. Il faut distinguer le stress aigu et le stress chronique.

Parlons du stress aigu…

Claire Mounier-Vehier : Il est lié à une émotion intense et brutale, qui peut être causée par une circonstance exceptionnelle, comme un accident, mais aussi par un instant banal, pouvant être vécu de manière très intense : dispute familiale, remarque brutale au travail… Le stress aigu peut provoquer un accident cardiaque, surtout s’il survient chez une personne à haut risque ou ayant déjà eu un problème cardiaque. Lorsque l’on ne parvient plus à exprimer ses émotions, la colère éclate brusquement. Elle est le facteur déclenchant le plus nocif du stress aigu. Chez certaines personnes, elle peut multiplier par 15 le risque d’infarctus !

Et pour le stress chronique ?

Claire Mounier-Vehier : Les personnes particulièrement exposées regroupent plusieurs traits de caractère : la combativité, la compétitivité, la polarisation par le travail, les activités multiples, l’urgence du temps, la quête de reconnaissance, l’impatience, l’exigence pour soi-même et pour les autres… Ce stress chronique a une influence négative sur les facteurs de risque cardiovasculaire. Le stress incite à fumer davantage, en donnant l’illusion d’un moment de détente. Il peut faire grossir, en favorisant le syndrome métabolique, ce qui augmente sensiblement le risque d’infarctus. Enfin, certaines personnes sensibles au stress ont tendance à être davantage sédentaires. Au travail, plusieurs facteurs contribuent au stress chronique : manque de considération, objectifs mal définis, insuffisance d’informations, indifférence de la hiérarchie, impression d’une absence de reconnaissance quel que soit l’effort fourni… Et il y a des différences Homme-Femme : les femmes qui déclarent éprouver un stress élevé au travail ont 40% de risque supplémentaire face aux maladies cardiovasculaires, comparativement à celles dont le stress est faible. L’insécurité de l’emploi ou le stress lié à l’exigence de résultats pourrait accroître jusqu’à 88 % le risque de crise cardiaque chez les femmes.

On pense que le risque cardio-vasculaire touche surtout les hommes… C’est faux ?

Claire Mounier-Vehier : Oui. Les chiffres sont là. Les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité chez les femmes. La progression des maladies cardiovasculaires chez les femmes est un véritable fait de société : les femmes ont adopté les mêmes mauvaises habitudes d’hygiène de vie que les hommes. Elles ont aujourd’hui le même mode de vie : stress, tabac, manque d’activité physique, alimentation déséquilibrée… Or, leurs artères sont plus fragiles que celles des hommes. Au-delà d’être moins protégées, les femmes sont aussi moins bien dépistées, prises en charge plus tardivement et se remettent plus difficilement… Et depuis qu’elles ont adopté les mêmes mauvaises habitudes de vie que les hommes, elles sont victimes d’accidents cardio-vasculaires de plus en plus jeunes… On constate actuellement une nette progression des infarctus du myocarde chez les femmes de moins de 60 ans. Selon l’Institut de Veille Sanitaire, entre 2002 et 2008 en France, le nombre de personnes hospitalisées pour un infarctus du myocarde a baissé dans toutes les classes d’âges chez les hommes (- 8,2% de 45 à 54 ans), sauf chez les femmes (+ 17,9% de 45 à 54 ans). Plus de 54 % des victimes des maladies cardio-vasculaires sont des femmes et les infarctus du myocarde chez les femmes de moins de 50 ans ont triplé ces 15 dernières années. Mais il n’y a pas de fatalité : en étant actrices de leur santé, les femmes doivent se mobiliser avec vigueur, sans plus tarder.

Vous avez initié la campagne « Cœur de femme », en vous engageant aux côté de la mutuelle APREVA

Claire Mounier-Vehier : Apreva Mutuelle est partenaire des Parcours du Cœur et de la Fédération Française de Cardiologie Nord – Pas-de-Calais pour diffuser un message de prévention cardiovasculaire tout particulièrement tourné vers les femmes. Nous avons organisé depuis 3 ans une vingtaine de conférences grand public dans le Nord – Pas-de-Calais et en Picardie. Notre partenariat est exemplaire, sur un véritable problème de santé publique, avec un véritable engagement d’Apreva Mutuelle à nos côtés dans les actions de prévention ».

Depuis juin 2015, vous êtes présidente de la Fédération Française de Cardiologie. Quel est son rôle ?

Claire Mounier-Vehier : La FFC est la première association de lutte contre les maladies cardiovasculaires. Créée il y a 50 ans, elle est reconnue d’utilité publique. Elle se compose de 26 associations régionales de Cardiologie, dont celle du Nord – Pas-de-Calais, l’une des plus actives. La FFC a 4 missions principales : la prévention, notamment à travers l’organisation des Parcours du Cœur début avril chaque année ; la recherche, à travers des bourses accordées à des chercheurs ; la réadaptation des cardiaques par une activité physique adaptée au sein de 250 clubs Cœur et Santé, et enfin informer sur les Gestes qui sauvent. La FFC est entièrement financée par les dons et legs. Pour en savoir plus : www.fedecardio.org.

Qu’entendez-vous par « prévention positive » ?

Claire Mounier-Vehier : C’est une prévention qui n’est pas punitive. On sait que les interdits ont tendance à être rejetés. Il s’agit donc de donner des conseils plutôt que marteler des interdictions. Prenez du plaisir à faire de l’activité physique, tout en protégeant votre santé ! Plutôt que si vous ne faites pas d’activité physique, vous serez malade. Mangez de tout un peu, avec modération, plutôt que jamais de charcuterie et de gâteaux… En prévention, il ne faut jamais négliger la notion de plaisir. On peut faire des choses bonnes pour la santé sans s’autoflageler ! On peut aussi parler de prévention citoyenne, car il est préférable d’être actif que de se sentir en permanence assisté par son médecin… Chacun a le moyen aujourd’hui de prendre en charge sa propre santé, dans un réflexe citoyen !.

Comment une TPE ou une PME peut-elle s’engager dans cette « prévention positive » ?

Claire Mounier-Vehier : Sur un plan général, l’entreprise peut concourir au développement de la santé de chacun. Par exemple : en incitant les salariés à faire une activité physique, en favorisant la méditation en pleine conscience, en offrant des facilités pour une alimentation saine le midi, en offrant des fruits dans une corbeille au sein de l’entreprise, etc. Ceci vient en complément de la prévention des risques professionnels et du développement de la santé au travail. La santé est importante dans la vie professionnelle et la vie personnelle. Une enquête, réalisée par Radio France en juillet 2011 auprès de plus de 5 000 personnes, décrit les caractéristiques du travail idéal : il permet de continuer à apprendre (48,1%), il donne l’impression de réussir quelque chose (40,6%), il rend utile (28,6%), il contribue au lien social (27,1%), il laisse beaucoup de temps libre (23,7%), il permet de rendre la planète habitable (17,9%), il rapporte beaucoup d’argent (9,6%). Il faut se rapprocher des caractéristiques du travail idéal pour lutter contre le stress.

Quels conseils donneriez-vous à un patron ou une patronne de TPE ou PME ?

Claire Mounier-Vehier : Des conseils généraux certes, mais incontournables :
- Pratiquer au moins 30 minutes d’activité physique quotidienne, comme par exemple la marche.
- Boire moins de café et d’alcool.
- Ne pas fumer car fumer pour se détendre est un leurre et multiplie les risques d’infarctus du myocarde.
- Manger équilibré, à savoir 3 repas par jour avec 5 fruits et légumes, moins de graisses, de sucre et de sel, éviter le grignotage.
- S’accorder chaque jour des moments de détente : relaxation, méditation, lecture, musique, cinéma…
- Exprimer ses émotions : peurs, joies, sentiments…
- Parler avec ceux qui nous entourent et les écouter : collègues, conjoint, enfants, famille, amis…
- Respecter la qualité et la durée de son sommeil.
Ces conseils donnent du plaisir à la vie quotidienne, tout en réduisant le risque de l’interrompre par un accident cardiaque évitable…

BIOGRAPHIE express Claire Mounier-Vehier

âgée de 53 ans, Claire Mounier-Vehier est issue d’une famille de « patrons » de médecine. Père : cardiologue ; mère : médecin du travail. Ses engagements confirment son attachement à l’excellence, au service public et à la prévention. Elle est aussi à l’aise devant un patient ou une salle comble. Son but : convaincre que la maîtrise des risques cardio-vasculaires, c’est possible !

1991 : Thèse de doctorat de médecine, cardiologue.
1995 : Praticien hospitalier au CHU de Lille
2003 : Professeur des universités-praticien hospitalier au CHU de Lille chirurgie vasculaire-médecine vasculaire : option médecine vasculaire ; service de médecine interne et hypertension artérielle, hôpital cardiologique.
2005 : Chef du Service de médecine vasculaire et hypertension artérielle au CHU de Lille.
2011 : Première vice-présidente de la Fédération Française de Cardiologie
2014 : Livre blanc pour un « Plan Cœur »
2015 : Présidente de la Fédération Française de Cardiologie

Au cours de sa carrière hospitalo-universitaire, Claire Mounier-Vehier a assuré la direction de nombreux travaux de recherche et réalisé de nombreuses publications scientifiques. Ses prises de position et avis sont souvent relayés par les médias nationaux.

(Publié dans le N°32 : Pénibilité : moins de Pénibilité plus de performance !) le 23/11/2015