Alizée Petitmangin: Ma thèse en 180 secondes

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Interview

Avec sa jeunesse, Alizée Petitmangin bouscule les lignes. Avec humour, elle compare le représentant des employeurs à Roméo et le représentant des médecins du travail à Juliette, qui intervient au nom des travailleurs. Avec sérieux, elle explique le sujet de sa thèse de doctorat en droit : La rénovation des rapports entre les services de santé au travail et les entreprises par les sciences juridiques. Pour elle : « Roméo et Juliette sont faits pour s’aimer. Et les sciences juridiques sont là pour les aider, dans l’intérêt partagé des salariés et des entreprises ». Alizée Petitmangin a utilisé cette métaphore lors du concours « Ma thèse en 180 secondes », organisé par le CPU-CNRS , à Lille le 27 avril 2016. Elle faisait partie des 10 finalistes régionaux. Sa thèse de doctorat en droit (Droit de la santé au travail) est codirigée par le Pr Sophie Fantoni-Quinton (Professeur de Médecine du travail, Docteur en droit, Université de Lille II) et Mr Jean-Philippe Tricoit (Maître de conférences, Droit privé et sciences criminelles, Université de Lille II). Alizée Petitmangin est actuellement juriste en santé au travail.

Pourquoi vous êtes-vous intéressée à la santé au travail ?

Alizée Petitmangin : C’est la suite logique de mon parcours. Après une licence en droit obtenue à l’Université Catholique de Lille, j’ai obtenu deux masters à l’Université de Lille II (Droit et Santé). L’un en Droit privé, sciences criminelles en 2014. L’autre en Droit de la santé, Ethique et santé publique, en 2015. J’ai travaillé sur la santé en milieu carcéral. Puis je me suis intéressée à la santé en milieu de travail. D’où l’idée de poursuivre vers un doctorat. Il porte sur une hypothèse : les sciences juridiques peuvent aider à améliorer les relations entre médecins du travail et employeurs. Mes recherches doivent en faire la démonstration.

Vous parlez d’un amour quasi-impossible, en prenant l’exemple de Roméo et Juliette…

Alizée Petitmangin : J’ai utilisé Roméo et Juliette, comme métaphore, lors du concours « Ma thèse en 180 secondes ». Ce concours est l’occasion de promouvoir le doctorat en lui donnant un côté accessible par la vulgarisation, la métaphore, l’humour et la synthèse… en 180 secondes chrono ! La comparaison avec Roméo et Juliette est un peu caricaturale. Mais elle est très didactique. Entre le médecin du travail et l’employeur, c’est une histoire d’amour quasi impossible à cause du législateur. Leurs intérêts semblent s’opposer. D’un côté, la santé des salariés. De l’autre, la productivité des entreprises. Or, une entreprise ne se maintient et crée de l’emploi que si elle garde une productivité suffisante. Je l’intègre comme un principe de réalité, dans un contexte de concurrence économique. Et aujourd’hui la santé des salariés est un facteur de performance de l’entreprise. Le médecin du travail a pour mission de protéger la santé des salariés. En ce sens, pour moi, il ne peut pas être un frein à la performance de l’entreprise. C’est la raison pour laquelle je pense que médecins du travail et employeurs sont faits pour s’entendre. Dans l’intérêt du ou des salarié(s) et de l’entreprise.

« La santé des salariés est un facteur de performance de l’entreprise. Le médecin du travail a pour mission de protéger la santé des salariés. En ce sens, pour moi, il ne peut pas être un frein à la performance de l’entreprise »

Pour vous le droit doit être source de clarté. Il ne l’est donc pas actuellement ?

Alizée Petitmangin : Les textes législatifs et règlementaires relatifs à la santé au travail, au sein des entreprises privées, sont regroupés dans la partie IV du Code du travail. Cette quatrième partie du Code du travail fait l’objet de toute mon attention, au sein de mes recherches de doctorat. Pour moi, sa rédaction actuelle n’est pas claire. Quand on en fait le sommaire, on constate vite que le Code du travail cherche à encadrer chaque facteur de risque et chaque catégorie de salariés. Or, il est impossible de tout prévoir et de tout codifier. Aujourd’hui, cette quatrième partie du Code du travail présente une complexité de contenus, avec des répétitions, voire des contradictions, qui n’en facilitent pas l’appropriation.

Vous dites qu’il faut donc le rénover. Que faut-il garder ? Que faut-il changer ?

Alizée Petitmangin : Dans le cadre de mon doctorat et de mon travail de recherches, le mot « rénovation » n’est pas le fruit du hasard. Le terme rénovation est emprunté au monde du bâtiment. Mon travail de recherche vise à appréhender la quatrième partie du Code du travail comme un jeu de construction, en déplaçant et/ou en restructurant les différents articles, pour avoir un ensemble plus compréhensible et accessible à chacun. Ce travail de recherche est guidé par une logique unique : développer la prévention. Et cette logique doit être évidente et éclairante. Par exemple, aujourd’hui, le législateur, article par article, raisonne souvent en associant prévention et sanction. Or, s’il y a sanctions, c’est que l’on présuppose qu’il y a un défaut de prévention. Je pense qu’il faut privilégier uniquement cette prévention comme dénominateur commun à la construction de principes intouchables pouvant être applicables à toutes les situations de travail. J’ai encore deux ans de travail de recherches devant moi pour les identifier et les définir…

Vous pensez que cette approche faciliterait la compréhension entre médecins du travail et employeurs ?

Alizée Petitmangin : Oui, sans aucun doute ! Cette compréhension s’avère aujourd’hui nécessaire. Chacun sait que préserver la santé concourt à la performance de l’entreprise. Et chacun sait que la performance de l’entreprise conduit à sa pérennité et son développement. Et donc à préserver l’emploi des salariés. Comme je le disais, médecins du travail, salariés et employeurs sont donc faits pour s’entendre. Pour moi, les sciences juridiques peuvent et doivent les aider à y parvenir.

«Médecins du travail, salariés et employeurs sont donc faits pour s’entendre. Pour moi, les sciences juridiques peuvent et doivent les aider à y parvenir».

Il n’y a pas que le Code du travail… N’y-a-t-il pas aussi la jurisprudence ?

Alizée Petitmangin : Elle est primordiale ! Mes travaux de recherche s’inspirent énormément des décisions jurisprudentielles car elles évoluent plus vite que les textes. La cour de cassation consacre de plus en plus la prévention dans les entreprises. Dernièrement, les juges du droit ont reconnu qu’un employeur qui a mis en place des mesures de prévention peut s’exonérer de sa responsabilité en matière de harcèlement moral. Cette décision est soumise à condition mais elle va nettement plus loin que ce que dit le code. L’exemple le plus significatif est l’appréciation que les juges font de l’obligation de sécurité de résultat inhérente à l’employeur. En effet, la haute Cour est devenue moins rigide que ce que le législateur prétend. Pour autant, les juges ne créent pas le droit ils ne font que l’interpréter. Le législateur devrait prendre en compte ces nouvelles interprétations pour faire évoluer les textes plus rapidement. C’est un sujet qui pèse lourd dans les débats.

Cette rénovation de la quatrième partie du Code du travail passe par le législateur…

Alizée Petitmangin : Oui, bien sûr. Ma thèse est un travail de recherche, dont le législateur pourra s’inspirer. Mon travail consiste à faire la démonstration que cette rénovation est faisable. Je m’attache à écrire cette thèse dans un langage accessible à chacun : juristes, employeurs, salariés, partenaires sociaux. Ma conviction est que le divorce entre médecin du travail et employeur est issu de représentations qui appartiennent au passé : employeur-profiteur, médecin du travail défenseur. La réalité est plus subtile, dans la grande majorité des entreprises. Et les évolutions actuelles en santé au travail ouvrent des perspectives pour la rénovation du Code du travail.

Quand Juliette n’a pas assez de temps médical à cause du législateur, Roméo est condamné. Et il pleure… »

Code du travail partie 4: Santé et Sécurité au travail

Dans sa thèse de doctorat en droit privé, Alizée Petitmangin s’attache à rénover la quatrième partie du Code du travail.
En voici le Plan actuel :

LIVRE Ier – Dispositions générales
• Titre Ier : Champ et dispositions d’application
• Titre II : Principes généraux de prévention
• Titre III : Droits d’alerte et de retrait
• Titre IV : Information et formation des travailleurs
• Titre V : Dispositions particulières à certaines catégories de travailleurs

LIVRE II – Dispositions applicables aux lieux de travail

• Titre Ier : Obligations du maître d’ouvrage pour la conception des lieux de travail
• Titre II : Obligations de l’employeur pour l’utilisation des lieux de travail

LIVRE III – Équipements de travail et moyens de protection

• Titre Ier : Conception et mise sur le marché des équipements de travail et des moyens de protection
• Titre II : Utilisation des équipements de travail et des moyens de protection

LIVRE IV – Prévention de certains risques d’exposition

• Titre Ier : Risques chimiques
• Titre II : Risques biologiques
• Titre III : Prévention des risques d’exposition au bruit
• Titre IV : Prévention des risques d’exposition aux vibrations mécaniques
• Titre V : Prévention des risques d’exposition aux rayonnements ionisants

LIVRE V – Prévention des risques lies à certaines activités ou opérations

• Titre Ier : Travaux réalisés dans un établissement par une entreprise extérieure
• Titre II : Installations nucléaires de base et installations susceptibles de donner lieu a des servitudes d’utilité publique
• Titre III : Bâtiment et génie civil
• Titre IV : Autres activités et opérations

(Publié dans le N°35 : Artisans, commerçants, travailleurs indépendants…Votre santé compte pour vos salariés!) le 20/07/2016

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