Martial Brun, directeur général de Présanse

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« La santé est un bien précieux et un levier de performance essentiel des entreprises »

« Le monde du travail évolue effectivement rapidement. »

Au moment où, en France, une réforme d’envergure de l’organisation de la Santé au Travail se prépare, Entreprise & Santé a souhaité s’entretenir avec Martial Brun, directeur général de Présanse. Présanse est l’organisme représentatif des services de santé au travail interentreprises, associations sans but lucratif qui couvrent tout le territoire national. Au nombre de 240, ces services de santé au travail interentreprises accompagnent quotidiennement 1,5 millions d’entreprises privées et leurs 15 millions de salariés. Ces services représentent 17 000 professionnels de santé au travail, dont 5 000 médecins du travail. Merci à Martial Brun de nous avoir accordé cet entretien.

E&S: Comment résumer l’importance de la santé au travail pour une entreprise ?

Martial Brun : La santé est un bien précieux et un levier de performance essentiel des entreprises. L’énonciation de cette réalité résume à elle seule l’importance croissante qu’acquiert la santé au travail. Les sujets qui y sont liés sont d’évidence au cœur des préoccupations de l’entreprise : prévention des accidents et des maladies professionnelles, gestion du handicap et des maladies chroniques sur le poste de travail, prise en compte du vieillissement de la population active, réduction des indemnités journalières, prévention des addictions et du harcèlement, amélioration de la qualité de vie au travail, etc. Agir en faveur de la santé au travail a une influence directe sur tous ces domaines, et renvoie, au-delà de la sphère professionnelle, à des enjeux de société.

E&S: Quelles sont les entreprises qui adhèrent aux services de santé au travail inter-entreprises ?

Martial Brun : Les services de santé au travail interentreprises accompagnent 1,5 millions d’établissements et de nombreux salariés du secteur public. Les entreprises qui adhèrent à un service de santé au travail interentreprises sont des TPE et PME de tous secteurs d’activité. 79% d’entre elles comptent moins de 10 salariés.
Dans ce type de structures, les ressources pour conduire des actions de prévention des risques professionnels sont limitées. Aussi, les moyens de proximité mis à disposition par le SSTI sont essentiels pour préserver la santé au travail des collaborateurs et du dirigeant qui, dans les TPE, est souvent exposé aux mêmes risques que ses salariés.

E&S: Quel est le poids de ces entreprises en matière d’emploi ?

Martial Brun : Les 1,5 millions d’établissements du secteur privé accompagnés par les services de santé au travail interentreprises emploient 15 millions de salariés. Plus de la moitié des salariés suivis (54 ) travaillent dans des établissements de moins de 50 salariés, qui représentent la très grande majorité des établissements adhérents (96 %) et 79 des entreprises adhérentes ont moins de 10 salariés, ce qui représente 23% des salariés suivis par les SSTI. Sans oublier le secteur public, qui représente 5 % des salariés suivis par les SSTI, équivalant à 700 000 salariés, dont 58 % sont employés par des collectivités territoriales.

E&S: Que leur apportent ces services de santé au travail ?

Martial Brun : Les services de santé au travail posent un diagnostic des situations de travail et de l’état de santé des salariés. Cette double connaissance des conditions de travail et de l’état de santé permet de fournir des conseils adaptés pour une prévention collective ou individuelle. Les données recueillies sont par ailleurs tracées et nourrissent des études sur les risques professionnels. Cette activité, définie par les textes, permet en outre aux entreprises de se mettre en conformité avec certaines de leurs obligations importantes en matière de santé au travail. Quelques chiffres pour illustrer l’ensemble de ces actions méconnues : en 2017, les SSTI ont conduit, 520 000 actions en milieu de travail, 328 000 demandes d’aménagement de postes ont été formalisées, les médecins du travail et les infirmiers ont assuré 8 millions d’entretiens individuels, 150 000 cas d’inaptitudes ont été accompagnés socialement, 6,5 millions de dossiers médicaux sont alimentés informatiquement. L’ensemble de ces actions, parfaitement complémentaires, compose ce qu’il convient d’appeler une stratégie globale de prévention.

E&S: Devant les mutations du monde du travail, comment évoluent ces services de santé au travail ?

Martial Brun : Le monde du travail évolue effectivement rapidement. De nouvelles formes de travail, d’usages et de pratiques professionnelles émergent. À l’heure où le travail doit être envisagé comme un facteur de santé, et la santé elle-même comme un levier de performance pour les entreprises, la manière d’aborder la santé au travail doit être questionnée dans un esprit d’amélioration continue. Le nombre de contrats courts, le télétravail ou le vieillissement de la population active demandent aux SSTI d’adapter leur accompagnement en fonction des situations, d’agir par priorité. Il en résulte des différences de prises en charge qu’il est nécessaire de mieux expliquer. Pendant des décennies la visite médicale dont le rythme annuel était indépendant de l’état de santé du salarié ou des risques auxquels il était exposé, a constitué un marqueur fort de l’activité du SSTI. Agir sur les facteurs de risques et en fonction de la situation des personnes est pourtant de bon sens, surtout quand la ressource médicale est limitée.
Pour répondre globalement aux besoins, les services de santé au travail ciblent et diversifient donc leur accompagnement. La prévention sur les lieux de travail, la sensibilisation des acteurs de l’entreprise, le maintien en emploi, ont conduit à étoffer les équipes de santé au travail. Aujourd’hui, les médecins du travail ne représentent que 30 % des effectifs. Des ergonomes, des psychologues du travail, des toxicologues, des techniciens hygiène sécurité…, et un nombre important d’infirmiers en santé au travail composent les équipes pluridisciplinaires animées et coordonnées par les médecins du travail.
La numérisation des données permet également de mettre à disposition des bénéficiaires plus facilement les données qui les concernent. L’objectif est de rendre chacun acteur de la santé au travail. L’efficacité passe en effet par une implication des salariés et des dirigeants au quotidien. Il s’agit ainsi de développer une culture de la prévention au sein même des entreprises.

E&S: Une réforme se prépare… Que souhaiter pour les entreprises et les partenaires sociaux ?

Martial Brun : Le gouvernement souhaite engager une réforme de la santé au travail. Dans cette perspective, le rapport commandé à la députée Charlotte Lecocq et publié en septembre dernier se veut disruptif. Pour l’essentiel, il repose en fait sur la disparition mécanique des services de santé au travail interentreprises (SSTI) au profit d’agences régionales, que financerait la création d’une nouvelle cotisation URSSAF maîtrisée par l’État. Une telle réforme doit se préparer selon nous en concertation avec les principales parties-prenantes de la santé au travail et au regard des réalités de terrain.
Notons d’ailleurs que la santé au travail est un sujet de préoccupation croissant chez les salariés français comme chez leurs employeurs, comme le révèle une étude Harris Interactive conduite en avril 2019 pour Présanse. Et pour les accompagner, ils s’adressent sans surprise très majoritairement à leur service de santé au travail interentreprises. En effet, avec 23 000 points d’accès proposés par ce réseau dans toute la France, les services de santé au travail constituent la porte d’entrée naturelle des entreprises pour traiter des sujets de la prévention des risques professionnels et de santé au travail. Cette proximité est plébiscitée par les acteurs de l’entreprise, tout comme le professionnalisme des équipes pluridisciplinaires qui œuvrent au quotidien sur le terrain. L’indice de confiance envers les SSTI est élevé. Au global, ce sont 7 salariés sur 10 (et également 7 employeurs sur 10) qui ont une opinion favorable de leur service de santé au travail. On est loin des idées reçues qui ont sans doute comme origine une vision du passé qui ne tient pas compte des grandes transformations de l’activité des services de santé au travail ces 3 dernières années, dont les premiers bénéficiaires, dirigeants et salariés, perçoivent logiquement les effets, étant en contact direct, sur le terrain, avec leur service : le taux de satisfaction est directement lié au fait que le service ait pu intervenir concrètement et physiquement pour eux.

Pour autant, les acteurs de l’entreprise demandent plus d’innovation pour toujours mieux s’adapter à leurs besoins. Nous espérons que ces éléments seront largement partagés pour fonder l’évolution souhaitable du système de santé au travail sur les réalités de 2019, sur la perception réelle des bénéficiaires qui sont convaincus, à près de 90 % que pour que les décisions en matière de santé au travail soient efficaces, elles doivent être prises au plus près de l’entreprise et des situations de travail. Cette étude a conforté notre conviction profonde : l’entreprise, qui doit être la première garante de la santé de ses collaborateurs, doit rester au cœur du dispositif et garder la main sur la gestion de son service de santé au travail référent. Le bénéficiaire final de ce système global doit rester l’entreprise et ses collaborateurs. L’entreprise doit donc pouvoir conserver sa place et son rôle dans le nouveau dispositif, afin que l’offre de service demeure pleinement pertinente, c’est-à-dire en adéquation avec ses besoins de prévention. Nous souhaitons donc que le nouveau système permette de laisser, dans la gestion opérationnelle des moyens, une place aux entreprises, PME et TPE aujourd’hui adhérentes de leur partenaire SSTI, afin qu’ils puissent rester, en responsabilité, les principaux acteurs de leur politique de prévention en santé au travail.

BIOGRAPHIE EXPRESS

Martial Brun, directeur général de Présanse

Diplômé d’École de Gestion et de Commerce, il intègre la direction du service de médecine du travail de Saône-et-Loire en 1992. Il participe notamment au développement de la première expérience d’envergure d’exercice pluridisciplinaire en services de santé au travail : « Bourgogne Ergonomie ».
En 1997, il rejoint le secteur marchand et travaille au sein d’organismes de formation professionnelle, dont il assure le développement. En 2003, il intègre le CISME, qui deviendra Présanse en 2018, association qui fédère la quasi-totalité des services de santé au travail interentreprises qui oeuvrent pour le compte d’1,5 million d’employeurs et suivent environ 15 millions de salariés. Il accompagne depuis lors les évolutions du secteur ; il est nommé Directeur général de la structure en 2009. Il est membre de la Commission Internationale de la Santé au Travail (ICOH : International Congress on Occupational Health) ainsi que du comité directeur du Groupement d’Intérêt Scientifique Evrest (Évolutions et relations en santé au travail).

(Publié dans le N°47 : Hauts-de-France: 2017, une addition de 610 millions d’euros !) le 12/07/2019