Christophe Madika Directeur général, Carsat Hauts-de-France

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« Nous devons nous adapter aux évolutions du monde du travail. Intégrer l’émergence des nouveaux métiers. Respecter l’entreprise et devenir son partenaire pour l’aider à évoluer »

En France, les entreprises privées sont assurées par l’Assurance Maladie pour le risque Accident du Travail et Maladie Professionnelle. A ce titre, la Carsat Hauts-de-France (Caisse régionale d’assurance retraite et de santé au travail) est l’interlocuteur des entreprises de la région, soit 166 300 établissements privés, de toute taille et de toute activité. Organisme paritaire, la Carsat Hauts-de-France est présidée par Jérôme Lefebvre. Son directeur général, Christophe Madika, nous a accordé un entretien. Entreprise & Santé le remercie pour son éclairage « d’assureur-préventeur ».

E&S: En santé au travail, vous êtes assureur et préventeur ?

Christophe Madika : « Oui. Et cela, depuis la création de l’Assurance Maladie… Dans notre rôle d’assureur, nous fixons et notifions le taux de cotisation AT-MP pour chaque entreprise, en appliquant les règles fixées sur le plan national. En 2017, la prise en charge des accidents et maladies professionnelles a coûté 617 millions d’euros aux entreprises des Hauts-de France. En tant que préventeur, nous apportons un conseil expert auprès des entreprises, en fonction de leurs risques, grâce à nos 70 ingénieurs et contrôleurs de sécurité implantés sur l’ensemble du territoire régional. Nous apportons aussi des aides financières aux entreprises. »

E&S: Pouvez-vous nous dire deux mots sur ces aides financières ?

Christophe Madika : « Les entreprises de moins de 50 salariés, peuvent bénéficier de « subvention prévention TPE »1, pour l’achat d’équipements, l’accompagnement par une ressource externe ou la réalisation d’actions de formation. Aujourd’hui, la demande est simplifiée. Elle peut se faire en ligne. Ces aides portent sur des objectifs précis, correspondant aux priorités nationales ou régionales de prévention. En 2019, 2 208 695 euros ont été alloués à des entreprises des Hauts-de-France.
Avec les entreprises de moins de 200 salariés, nous pouvons établir un contrat de prévention pour la mise en place d’actions de prévention et d’amélioration des conditions de travail. Avec ce contrat, nous apportons une participation moyenne de 27 % des investissements nécessaires. »

E&S: Vous avez donc une mission d’aide et de conseil en prévention, avant d’indemniser les sinistres…

Christophe Madika : « Oui. Effectivement… Et nous devons nous adapter aux évolutions du monde du travail. Intégrer l’émergence des nouveaux métiers. Respecter l’entreprise et devenir son partenaire pour l’aider à évoluer. L’idéal, c’est l’entreprise qui appelle pour bénéficier de conseils et d’aides… Et non pas l’entreprise qui fait tout pour nous éviter. Nous devons instaurer une relation de confiance mutuelle. Pour que l’entreprise ne soit pas dans une situation de crainte et d’injonction. Il nous faut un nouvel état d’esprit : coopérer avec les entreprises, et non pas les contrôler. Agir avant les conséquences sur la santé… et non pas après ! »

E&S: Pouvez-vous nous préciser ces grands changements en cours ?

Christophe Madika : « Aujourd’hui, le travail doit protéger la santé des personnes. On ne doit plus mourir d’avoir travaillé ! On doit donc mettre en place des procédés de travail avec moins de risques et plus de formations. Mais il faut aussi intégrer la prévention et la santé dans le modèle économique et les commandes des donneurs d’ordre. Les risques évoluent. Aujourd’hui, les risques psychosociaux sont là. Et ils concernent toutes les entreprises, quelles que soient leurs activités. Car ils relèvent des choix de management et d’organisation. »

E&S: Vous dites qu’il faut être prudent avec les statistiques…

Christophe Madika : « Oui. Il faut faire attention. Le nombre élevé de TMS crée un effet d’écrasement. On ne voit plus le reste. Il ne faut pas perdre de vue les risques émergents qui seront majeurs dans les années à venir. Par exemple, les risques cancérogènes-mutagènes-toxiques pour la reproduction… Les centres de consultation de pathologie professionnelle, montés avec les hôpitaux, nous permettent de repérer les signaux faibles. »

E&S: Vous raisonnez souvent offre de services. Pourquoi ?

Christophe Madika : « Parce que nous sommes au service des entreprises ! Nos prestations constituent une offre de services. Que ce soit le conseil de nos ingénieurs et contrôleurs de sécurité, lors des visites d’entreprise. Ou nos formations. Ou l’intervention de nos laboratoires. Tout cela constitue une offre de services qui permet à l’entreprise de progresser pour la prévention des risques professionnels et la santé au travail. Certains risques sont faciles à aborder, comme le bruit, par exemple. D’autres plus difficiles, comme le risque chimique ou biologique. D’autres plus complexes, comme le risque psychosocial. Tout cela demande des compétences bien spécifiques. »

E&S: Vous distinguez les TPE et PME

Christophe Madika : « Oui, bien sûr ! Une TPE-PME est très différente par rapport à une grande entreprise. Elle a peu de ressources. Les problématiques sont parfois simples, comme par exemple l’adaptation d’un échafaudage ; elles peuvent être plus complexes, comme par exemple les agents cancérogènes. Une TPE ne peut pas connaître tous les arcanes de la législation et du droit du travail. En plus, nous devons développer une offre pour les artisans, car aujourd’hui nous avons intégré le RSI. Et nous devons les aider pour la prévention de leurs risques professionnels. »

E&S: Pour vous, l’entreprise a deux interlocuteurs majeurs. Lesquels ?

Christophe Madika : « L’entreprise, et notamment la TPE ou la PME, a son service de santé au travail et la Carsat, comme interlocuteurs majeurs dans le domaine du conseil. Son service de santé au travail est son interlocuteur au quotidien. Il est le plus proche, avec des compétences médicales et techniques. Nous avons des compétences essentiellement techniques. Nous sommes complémentaires. Et nous devons apporter une offre globale et coordonnée aux entreprises. Pour elle, nous solliciter doit être simple et efficace. »

E&S: D’où l’importance de développer les coopérations entre les services de santé au travail et la Carsat ?

Christophe Madika : « C’est essentiel ! Pour mieux répondre aux besoins des entreprises et de leurs salariés. J’ai l’ambition d’expérimenter et développer une plate-forme commune, inscrite dans une coopération constructive au service des entreprises. Nous avons ensemble un problème d’identification et de lisibilité. Coordonnons-nous et gommons la complexité. Adoptons ensemble, services de santé au travail et Carsat, de nouvelles méthodes de travail. L’entreprise a besoin d’une réponse globale et cohérente. D’où l’idée d’une plate-forme commune. Nous ne pouvons pas tout faire tout seul. Par exemple, cette coopération est essentielle pour le maintien en emploi d’un salarié en difficulté de santé. Il nous faut changer d’approche, au-delà de changer d’image. »

E&S: Avez-vous d’autres projets de coopération ?

Christophe Madika : « Oui ! Par exemple, avec les Chambres des métiers et de l’artisanat, l’Agence pour la formation professionnelle des adultes. Le but est de développer l’approche par branche professionnelle et d’investir les formations. Intégrer les questions de santé au travail et de prévention des risques professionnels dès la formation est essentiel. Nous pouvons développer cela avec les acteurs concernés. D’un métier à l’autre, les problématiques sont différentes. On ne travaille pas de la même façon avec un garagiste et un coiffeur, par exemple. »

E&S: Pour vous, l’innovation est importante ?

Christophe Madika : « Non… Elle est essentielle ! Par exemple nous avons eu le grand prix de l’Innovation Sécurité Sociale 2019 pour la conception et le développement de MRAPMotion. Grâce à des capteurs portés par le salarié, on peut enregistrer et analyser les mouvements en situation réelle de travail. Cela facilite l’approche ergonomique et les dialogues avec l’entreprise. Nous sommes partenaires du Salon Préventica, car il présente aux entreprises de nombreuses solutions et innovations en prévention et santé au travail. »

E&S: En conclusion, que dire encore sur la Carsat ?

Christophe Madika : « La Carsat est un organisme paritaire. Toutes nos instances et commissions cultivent ce souci du dialogue et du consensus constructif entre les partenaires sociaux. Ceci est fondamental en santé au travail. Mais aussi pour les autres missions de la Carsat Nous préparons la retraite des salariés. Nous versons la retraite de 1 260 000 bénéficiaires, soit la somme totale de 10,9 milliards d’euros en 2019. Nous intervenons aussi dans l’accompagnement des assurés en difficulté et le maintien à domicile des personnes fragilisées et prévenir la perte d’autonomie. Notre budget d’action sociale s’élève à 33 millions d’euros en 2019. Les prestations de la Carsat s’élèvent à 8 % du PIB régional. Notre raison d’être, c’est préserver l’humain : avec la santé au travail, le « bien vieillir » et l’aide aux assurés en difficulté.

Des solutions par secteurs d’activité, quelques exemples…

INDUSTRIE
Le programme TMS Pros, qui permet en 4 étapes de prévenir durablement l’apparition des TMS.

CONSTRUCTION
Réduire le risque de chute (mobilisation Carsat/Direccte/OPPBTP/ maitres d’ouvrage)
Prévenir l’exposition aux fibres d’amiante

LOGISTIQUE
Le programme régional Logistique (management, organisation et formation / équipement de travail et engins de manutentions / manutentions manuelles / circulations interne, externe et quais)

AIDE ET SOIN A LA PERSONNE
TMS Pros adapté aux EHPAD
Risque routier

BIOGRAPHIE EXPRESS

Christophe Madika
Directeur général, Carsat Hauts-de-France

Agé de 63 ans, Christophe Madika a pris la direction générale de la Carsat Hauts-de-France le 1er octobre 2018. A côté de ses missions en santé au travail et d’action sociale, elle verse les retraites de près de 1,25 million de personnes sur les 14,1 millions de retraités du régime général, soit 10 % de branche vieillesse. A ce titre, la Carsat Hauts-de-France est la troisième caisse de retraite de France.
Le parcours de Christophe Madika est atypique. Avec son diplôme d’ingénieur de l’Ecole Nationale des Travaux Publics de l’Etat (Entpe), la première partie de sa carrière est consacrée au suivi de grands chantiers :
- Direction de l’équipement de l’Yonne : ouvrages d’art et des grands travaux.
- Direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement Rhône Alpes : grands barrages, production et transport d’électricité, aménagements hydrauliques.
- Après avoir intégré le cycle préparatoire de l’Ena à l’Iep de Grenoble, Christophe Madika rejoint l’Ecole Nationale Supérieure de Sécurité Sociale. Diplômé, il entreprend alors une carrière au service de la protection sociale :
- Directeur de cabinet du directeur de la Cpam des Yvelines.
- Directeur de cabinet du directeur du Gie de la carte Cesam-Vitale.
- Directeur de la maîtrise d’ouvrage du système d’information de la Cnam.
- Directeur de la Carsat Bourgogne Franche Comté et du Centre régional de formation.
- Directeur de la Caisse Générale de sécurité sociale de la Réunion.
Christophe Madika est aujourd’hui directeur général de la Carsat Hauts-de-France (1 500 salariés).

(Publié dans le N°49 : Pénibilité: les exosquelettes débarquent !) le 21/02/2020