Pr Paul Frimat, professeur émérite de médecine, université de Lille

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Portrait Pr Paul Frimat

« Consultez votre service de santé au travail »

« Il nous faut assurer la continuité du service auprès des entreprises, en s’adaptant à la situation »

Professeur émérite de médecine du travail à l’université de Lille, président de l’Institut de santé au travail du nord de la France, le Pr Paul Frimat a été un acteur majeur de l’évolution de la « médecine du travail » vers la « santé au travail ». Expert reconnu au niveau international, il est également un observateur très écouté aux niveaux nationaux et locaux. Dans la conjoncture actuelle, où la reprise de l’activité économique se profile après plusieurs semaines de confinement général, son éclairage est particulièrement précieux. Merci à lui de nous avoir accordé un entretien.

E&S: Sur un plan général, que révèle cette crise par rapport au monde du travail ?

Paul Frimat : Cette crise du Covid-19 nous interpelle sur la valeur du travail dans notre société. Elle nous démontre l’importance de tous les métiers de première ligne : soignants, éboueurs, postiers, commerçants et artisans, agents d’entretien et de nettoyage, agents de de sécurité et de police, etc. Je ne suis pas exhaustif ! Bref, elle démontre qu’il n’y a pas de petits métiers. Il y a aussi des métiers oubliés tels que, par exemple, l’aide à domicile ou le personnel des Ehpad. Cette crise repositionne dans le débat public le sens et la valeur du travail. Un pays ne fonctionne pas si le travail ne fonctionne pas bien. Et la santé est essentielle au travail.

E&S: On dit souvent que la prévention est le « parent pauvre » de la santé… Ne retrouve-t-elle pas, dans cette crise, ses lettres de noblesse ?

Paul Frimat : Oui, bien sûr ! Mais je ne dirais pas « lettre de noblesse ». La question n’est pas là. Je dirais tout simplement reconnaissance méritée. Et cela a plus d’importance ! Bien sûr, les gestes barrières et les règles d’hygiène de base prennent tout leur sens face au Coronavirus. Mais, c’est toute la prévention et l’évaluation des risques qui prennent tout leur sens ! On pense être protégé. Et la catastrophe arrive avec un virus… Infiniment petit, ce virus provoque une crise sanitaire mondiale. Il nous rappelle qu’être attentif aux risques et à la prévention est fondamental.

E&S: Que dire de la santé au travail ?

Paul Frimat : La santé au travail a deux approches : individuelle et collective. L’approche individuelle permet d’assurer le suivi d’un salarié ou d’une salarié(e). L’approche collective permet d’accompagner et de conseiller l’entreprise, en fonction de ses besoins de santé. La crise du Covid-19 nous rappelle le caractère essentiel de ces deux approches.

E&S: Mais dans l’immédiat… que se passe -t-il en santé au travail ?

Paul Frimat : Dans l’urgence, il nous faut assurer la continuité du service auprès des entreprises, en s’adaptant à la situation. C’est le sens général de l’ordonnance du 1er avril et de son décret d’application du 8 avril. Notre rôle est de répondre aux besoins de santé des entreprises : informer, expliquer, accompagner. Par exemple, le port du masque ne s’improvise pas. Si on met un masque n’importe comment, il ne sert à rien. Une éducation au port de ce masque est nécessaire. Il y a plus complexe ! L’organisation de l’entreprise est directement impactée. Et tout se décide au moment du maintien de l’activité ou de la reprise de l’activité face au confinement. Les services de santé au travail sont là pour conseiller. Et les risques classiques, non liés à la crise sanitaire, ne doivent pas être oubliés. Information, éducation et prévention restent des missions essentielles. Mais le médecin du travail pourrait aussi devenir un acteur du parcours de soins. C’est ce qui est envisagé avec l’ordonnance du 1er avril 2020. Attention ! Il faut attendre les décrets d’application spécifiques dépendant du ministère de la Santé ! Mais, à la lecture de l’ordonnance, il pourrait être envisagé que le médecin du travail puisse prescrire un arrêt maladie en cas de suspicion ou de diagnostic de Covid-19. De même, le médecin du travail pourrait participer au dépistage du Covid-19. Sans les décrets d’application non publiés à ce jour1, le chef d’entreprise ne peut obtenir cela de la part de son médecin du travail.

E&S: Justement, que dire de ces dépistages ?

Paul Frimat : Il y a deux méthodes. Soit on regarde s’il y a présence de virus dans les fosses nasales, avec un prélèvement de sécrétions réalisé grâce à un écouvillon. Ce test présente 30 % de faux négatif. Ce n’est pas l’idéal pour un dépistage de masse ! Il faut donc préférer les tests sérologiques, faits à partir d’une goutte de sang. Ces tests permettent de savoir si la personne est immunisée. Au moment où je vous parle, ils sont en cours de mise au point. Ils seront bientôt disponibles. Quel que soit le test, il doit être réalisé dans des conditions d’hygiène irréprochable. Cela ne s’improvise pas et doit faire l’objet d’une organisation spécifique. Il nous faut réfléchir collectivement.

E&S: Autre question très pratique : que penser des prises de températures ?

Paul Frimat : C’est une autre question. Beaucoup d’employeurs rêvent d’organiser une prise de température à distance à l’entrée de l’entreprise. Attention! Sur le fond, la température n’est présente que si la personne développe les premiers symptômes. Ce n’est pas un dépistage. Des personnes sans température sont porteuses du virus. La température peut être prise au domicile et être motif de consultation en ville. Il s’agit d’un simple bon sens. Sur la forme, l’employeur qui veut se lancer dans cette prise de température à l’entrée de l’entreprise ne peut le faire que s’il l’inscrit dans le règlement intérieur. Donc, il ne peut le faire que si les représentants du personnel sont d’accord.

E&S: Et pour les visites médicales… Cela se passe comment ?

Paul Frimat : Ces visites entrent dans le cadre plus général du suivi de santé au travail, qui est gradué en fonction du risque lié au poste de travail. L’ordonnance du 2 avril est claire : elles peuvent être reportées, sauf si le médecin juge qu’elles ont un caractère d’urgence. Il me faut rappeler un principe fondamental qui ne doit pas être oublié : le médecin du travail n’est pas là pour faire une sélection. Très concrètement, hors cadre règlementaire, ce n’est pas à l’employeur de donner une liste de salariés à examiner. Par contre, hors cadre règlementaire, c’est le salarié qui décide de venir consulter son médecin du travail. Il en a le droit. Je dois rappeler que l’indépendance du médecin et le secret médical restent présents, même en période de crise.

E&S: Vous parlez d’une approche collective, auprès de l’entreprise. Que devient-elle dans la crise du Covid-19 ?

Paul Frimat : Elle est essentielle. Surtout avec la crise du Covid-19 ! Soyons simple. Où l’entreprise peut elle trouver un conseil extérieur qui fasse autorité ? Auprès de son service de santé au travail. Et là, il faut se préparer, dès à présent, à la sortie du confinement. Avec des questions précises. Est-ce que le télétravail doit se poursuivre ? Il faut y réfléchir et aider le salarié qui resterait en télétravail. Quelle organisation mettre en place ? Il faut garder le collectif de travail tout en maitrisant le risque sanitaire, sans oublier la prévention des risques classiques. Il faut savoir préserver les relations interpersonnelles, alors que l’angoisse et la méfiance peuvent être présentes… Parfois, il faudra se réinventer. Par exemple, les organismes de formation doivent concevoir et mettre en œuvre des pédagogies en ligne et à distance… La relation au client va être bouleversée. Voici quelques exemples emblématiques, pour lesquels cette question est cruciale : fleuristes, restaurants, boutiques, coiffeurs, etc. La situation d’un commerçant ou d’un artisan n’a rien de comparable avec celle d’une grande entreprise ou d’un groupe. Les conséquences de l’arrêt de production et de recettes sont là : au-delà du chômage technique et de l’obtention des aides, le risque de faillite est présent. Et il y aura les exigences économiques de la reprise.

E&S: Peut-on parler des conséquences psychologiques ?

Paul Frimat : Sur toutes ces questions, il y aura « l’avant et l’après ». Que vont devenir les relations au travail ? Comment l’anxiété et l’angoisse vont se vivre au quotidien ? Chacun a son vécu. Pour certains métiers, il va falloir prendre en charge le stress post-traumatique. C’est une certitude. Notamment pour le personnel en hôpital, en clinique, en Ehpad… Cela durera plusieurs mois. Avec des prises en charge à concevoir.

E&S: Quels conseils donner à un patron de TPE ou PME ?

Paul Frimat : De consulter son service de santé au travail ! Il est un acteur à part entière du système de santé. Il y trouvera des conseils et des accompagnements adaptés à son activité et son entreprise, apportés par des professionnels spécialisés : médecins du travail et équipes pluridisciplinaires, notamment psychologues du travail et ergonomes. Il disposera de supports adaptés. Par exemple, des fiches-conseils et des guides réalisés par métiers. Tout en en bénéficiant de la mutualisation des compétences et expériences. En sachant qu’un risque sanitaire général et/ou un risque lié au travail impacte clairement le fonctionnement de l’entreprise. La « santé au travail » est au service des salariés et leurs entreprises.

portrait Pr Frimat

BIOGRAPHIE EXPRESS

Né le 12 décembre 1948 à Lille, Paul Frimat s’est orienté en médecine du travail après avoir été chef de clinique en Dermatologie au CHRU de Lille. Elève du professeur Daniel Furon, Paul Frimat est professeur émérite d’université en médecine du travail à la Faculté de Médecine de Lille, Université de Lille. Dès l’an 2000, il a été à l’origine d’un Livre Blanc pour une réforme en profondeur de la médecine du travail. Internationalement reconnu, il a été élu président du conseil scientifique de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) de 2011 à 2016.
Il est co-auteur de deux rapports :
- En 2007, « Le bilan de la réforme de la médecine du Travail » (Rapport Conso-Frimat)
- En 2010, « La santé au travail : Vision nouvelle et professions d’avenir » (Rapport Dellacherie-Frimat-Leclercq).
Depuis 2010, il est élu président de l’Institut de Santé au Travail du Nord de la France (ISTNF). En 2018, il publie le « Rapport de mission relative à la prévention et à la prise en compte de l’exposition des travailleurs aux agents chimiques dangereux ».

1- Au 10 avril 2020, date de l’entretien.

(Publié dans le N°50 : Covid-19: vers une reprise de l'activité...) le 15/04/2020