Avis d’expert: EMMANUELLE DUPUIS, TOXICOLOGUE PÔLE SANTE TRAVAIL
Docteur en pharmacie, Emmanuelle Dupuis est toxicologue au sein du service toxicologie de PÔLE SANTÉ TRAVAIL Métropole Nord. Ce service de prévention et santé au travail interentreprises intervient auprès de 32 000 entreprises, de toutes tailles et de toutes activités, implantées sur l’agglomération Lille-Roubaix-Tourcoing, l’Audomarois, la Flandre intérieure et le Douaisis. Au total, ces entreprises emploient 480 000 salariés. Le service toxicologie intervient en liaison étroite et en complémentarité avec l’équipe locale santé travail.
Comment qualifier l’air que nous respirons au bureau ou en salle de réunion ?
Prenons le Code du travail. Il fait la distinction entre, d’une part, les locaux à « pollution non spécifique » et, d’autre part, les locaux à « pollution spécifique ». Les locaux à pollution non spécifique sont « des locaux dans lesquels la pollution est liée à la seule présence humaine », en dehors des locaux sanitaires. Les bureaux et salles de réunion appartiennent à cette catégorie. Les locaux à pollution spécifique sont des locaux dans lesquels, du fait du processus de travail, des substances dangereuses ou gênantes sont émises sous forme de gaz, vapeurs, aérosols solides ou liquides autres que celles qui sont liées à la seule présence humaine, voire pouvant contenir des sources de micro-organismes potentiellement pathogènes. On comprend qu’il s’agit là des ateliers, des espaces clos de chantier, des laboratoires, etc.
On entend parler de « qualité de l’air intérieur » …
Tout à fait. Cette notion d’air intérieur concerne nos espaces de vie, au sens large. Sous l’égide de l’Etat, un observatoire de la qualité de l’air intérieur a même été mis en place, depuis près de 15 ans. Entre notre logement, nos moyens de transports et nos espaces de travail, nous passons plusieurs heures par jour dans des milieux clos, au sein desquels la question de la qualité de l’air peut se poser.
Même au sein du logement ?
Oui. Par exemple en lien avec la présence d’animaux domestiques, tels que chiens et chats, qui émettent poils et particules diverses dans l’air ambiant ! L’attention se porte aujourd’hui sur les matériaux de construction, les revêtements, le mobilier mais aussi les produits d’entretien qui peuvent libérer des petites quantités de substances chimiques plus ou moins toxiques… L’exemple emblématique d’une intoxication domestique accidentelle est l’intoxication au monoxyde de carbone, résultat conjoint d’un défaut d’aération et d’une défectuosité d’un appareil de chauffage (chaudière ou autre chauffage d’appoint fonctionnant au combustible). La question de la qualité de l’air intérieur se pose autant pour les logements que les écoles, par exemple. Et, au sens large, tout établissement recevant du public.
Comment faire pour avoir un air intérieur de qualité ?
En tout premier lieu, lorsque cela est possible, supprimer l’émission de polluant à la source par exemple en privilégiant l’utilisation de matériaux et produits peu émissifs. En parallèle, et du simple fait de la présence humaine, s’assurer d’un renouvellement d’air suffisant. Il faut une qualité d’air acceptable, donc avoir un renouvellement d’air efficace. Le plus simple est d’avoir des ouvrants qui puissent faire entrer de l’air extérieur neuf et sortir l’air intérieur. Cette recommandation est valable à la maison autant qu’au bureau. Si ces ouvrants sont insuffisants ou inexistants, il faut mettre en place une ventilation mécanique.
S’agissant du Covid, existe-t-il des règles pour l’ouverture des ouvrants ?
Le Sars-CoV-2, lié à la présence humaine principalement par inhalation d’un aérosol contaminant pouvant rester en suspension dans l’air en particulier dans les espaces clos, nous fait tendre vers un renouvellement d’air régulier à 100 %. Au niveau des pratiques, le Haut Conseil de santé publique (HCSP) recommande, au minimum, une aération des espaces clos par ouverture des fenêtres au moins quelques minutes toutes les heures. Et une aération systématique, réalisée quand le local est vide de présence humaine. Le principe est de renouveler l’air d’un espace clos par apport d’air neuf, ce qui permet la dilution des virus éventuellement présents.
Et pour la ventilation mécanique ?
C’est le même principe de base : apporter en continu de l’air neuf et évacuer l’air expiré, dans le respect d’une marche en avant. Il est recommandé de faire fonctionner les installations en tout air neuf. S’il y a recyclage, il faut que l’air repris soit traité en privilégiant les filtres HEPA, capables de filtrer 99,97 % des particules de diamètre supérieur ou égal à 0,3 microns. La maintenance et l’entretien, notamment le changement des filtres mais aussi le nettoyage des gaines de ventilation, sont évidemment essentiels.
Cette maintenance est précisée par la réglementation…
Oui. S’agissant de locaux de travail, tout manquement engage la responsabilité de l’employeur. Et cela, du cahier des charges (la conception) à l’entretien, avec tous les contrôles nécessaires et obligatoires. Le Code du travail impose clairement une obligation de débit d’air neuf en fonction de l’activité et des locaux. Il s’agit de la respecter.
Comment évaluer la qualité de l’air ? On parle des détecteurs à CO2…
La qualité de l’air intérieur peut être appréciée par la mesure de différents polluants. Quand nous respirons, nous absorbons de l’oxygène et nous rejetons du gaz carbonique, le CO2, dont la concentration dans l’air est facile à mesurer. Si le taux est trop élevé, c’est que l’air n’est pas assez renouvelé. La concentration en gaz carbonique, le CO2, est un indicateur de la qualité du renouvellement d’air de la pièce et donc indirectement un indicateur de la performance de la ventilation, que celle-ci soit naturelle ou mécanique.
A quoi servent les mesures du taux de CO2 ? Faut-il privilégier un type d’appareil ?
C’est bien une information sur le taux de renouvellement d’air. Donc indirectement sur la qualité de la ventilation, que celle-ci soit naturelle ou mécanique. Le taux doit être inférieur à 800 ppm pour le HCSP. Pour comparaison, on parle de 400 ppm pour un air propre extérieur de qualité normale. Pour les mesures de l’air intérieur, l’idéal est de prendre un détecteur en continu du taux de CO2, à cellule de détection IR (infra-rouge), avec seuil d'alarme visuelle réglé à 800 ppm.
Que peuvent apporter les SSTI, pour la qualité de l’air intérieur ?
Nous apportons une expertise indépendante dans l’évaluation de la qualité de l’air respiré par les salariés. Nous délivrons des informations et prodiguons des conseils sur les principes de ventilation et d’aération des locaux de nature tertiaire ou industrielle. Beaucoup de questions de prévention en toxicologie se résolvent par les conditions de ventilation adéquates.
Le service toxicologie de PÔLE SANTÉ TRAVAIL Métropole Nord
Au service de ses 32 000 entreprises adhérentes, PÔLE SANTÉ TRAVAIL Métropole Nord dispose d’un service de toxicologie composé de cinq toxicologues industriels (Samuel Chochoy, Emmanuelle Dupuis, Eléonora Fornaciari, Thomas Franchi-Godin, Axelle Treiber) et d’un médecin du travail, Dr Elodie Loeuillet, accompagnés par Bernard Fontaine, conseiller senior en toxicologie.
« Beaucoup de questions de prévention en toxicologie se résolvent par les conditions de ventilation adéquates ».
Emmanuelle Dupuis, toxicologue à PÔLE SANTÉ TRAVAIL Métropole Nord
[1] Partie par million : unité de mesure du taux de pollution.
(Publié dans le N°56 : Bureaux, salles de réunion, commerces et restaurants… Du bon, du bon… du bon air !) le 14/10/2021