Laurence Thery, directrice de l’Aract Hauts-de-France

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« La Santé et Qualité de vie au travail permet d’atteindre un équilibre entre activité et performance ».

« Regarder le travail non plus comme un facteur de dégradation de la santé, mais aussi comme un opérateur dans la construction de la santé ».

Conditions de travail « Les acteurs de l’entreprise sont les premiers experts en matière de prévention et de promotion de la santé »

En 2023, le réseau Aract-Anact fêtera ses 50 ans ! C’est, en effet, en 1973 qu’une loi1 portant sur l’amélioration des conditions de travail a créé l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail. Les Aracts se sont créées par la volonté des paritaires régionaux. Depuis, le concept de " conditions de travail " n’a pas pris une ride !
Et la récente loi2 du 2 août 2021 renforçant la prévention en santé au travail le confirme. Pour nous éclairer, Laurence Théry, directrice de l’Aract Hauts-de-France a accepté de répondre aux questions d’Entreprise & Santé.

E&S Comment a évolué la prévention en milieu de travail depuis 20 ans ?

Laurence Thery : « Nous pouvons retenir trois évolutions majeures. Tout d’abord, la façon de penser la prévention a changé. D’une vision centrée sur la sécurité et les risques physiques, nous sommes passés à une approche centrée sur les conditions de travail et la santé au travail plus systémique. Puis, le rôle de l’organisation du travail est pris en compte comme un déterminant majeur des bonnes ou mauvaises conditions de travail. Aujourd’hui, le dialogue social est devenu l’un des enjeux majeurs pour faire avancer la prévention. Le réseau Anact-Aract y a contribué, en mettant au point de nombreuses méthodologies diffusées aux partenaires sociaux et aux préventeurs. Par exemple, pour prévenir des TMS, il faut identifier le rôle joué par l’organisation du travail. On est loin de l’approche purement physiologiste ! Pour les risques psychosociaux, le réseau Aract-Anact a développé un modèle d’analyse et d’intervention, qui s’appuie sur les contraintes et les ressources intrinsèques à toute situation de travail, en partant des situations concrètes de l’entreprise. »

E&S Pouvez-vous préciser ?

Laurence Thery : « Pour prévenir les RPS encore très répandus aujourd’hui, il importe de remonter le fil des causes, avec un modèle reconnu pour l’action, en appui aux acteurs de l’entreprise. Ce modèle est délibérément opérationnel, avec une méthodologie facilitatrice de dialogue. Elle opère comme un outil de médiation, qui permet la mise en circulation des points de vue.  Il ne s’agit pas de dire ce qu’il « faut ou faudrait  faire », mais plutôt d’assurer une mise en discussion des différents points de vue, dans une démarche de co-construction de la solution. C’est faisable, quelle que soit la taille de l’entreprise. »


E&S Vous parlez de construction de la santé…

Laurence Thery : « Oui. Avec les démarches de santé et qualité de vie au travail, on peut regarder le travail non plus comme étant un facteur de dégradation de la santé, mais aussi comme étant un opérateur dans la construction de la santé. C’est le choc culturel qu’a opéré l’ANI sur la QVT. Le travail peut développer la santé et les compétences, même dans un contexte de travail difficile. Le travail, par nature, est ambivalent. Cela invite la question de la performance : tenir ensemble l’amélioration des conditions de travail et de la performance.. »


E&S Qu’elle est l’importance du dialogue social ?

Laurence Thery  :  « Sa place est fondamentale. Le réseau Aract-Anact considère que les acteurs de l’entreprise sont les premiers experts en matière de prévention et de promotion de la santé. Mais à une condition : que le dialogue social soit efficient. Il s’agit là d’une opportunité pour l’entreprise, qui a tout intérêt à associer ses salariés à la définition de sa stratégie, et des projets qui en découlent. C’est dans la mise en discussion des différents points de vue que l’entreprise progresse à la fois en termes de performance et de qualité de vie au travail. Il faut faire en sorte que le dialogue social intègre les enjeux de prévention, et la stratégie de l’entreprise. Dans une grande entreprise, les ressources humaines portent souvent le dialogue social, indépendamment des enjeux de production et les managers portent les questions de performance, sans considération pour la prévention. Or, les deux sont liés. Et l’enjeu commun, c’est la performance globale. Celle-ci n’est pas la réduction systématique des coûts. C’est aussi le développement des compétences, l’augmentation de la qualité, une meilleure réponse aux problématiques environnementales, une diminution des tensions sociales. La crise de la Covid a largement accrédité cette évolution.»


E&S La QVT entre-t-elle dans cette approche ?

Laurence Thery  : « Oui. Bien sûr. Elle a fait l’objet d’un Accord national Interprofessionnel en 2013. On y voit très bien cette dualité entre le travail dégradant la santé et le travail construisant la santé. La QVT permet d’atteindre un équilibre entre activité et performance. Elle est portée par le dialogue social et l’organisation de l’entreprise. Nous avons un outil qui permet à une entreprise de choisir un axe de progrès parmi 23, répartis selon cinq thèmes : partage et création de valeur, relations de travail et climat social, santé au travail, contenu du travail, employabilité et développement professionnel, contenu du travail. Choisir un axe de progrès, c’est prendre une porte d’entrée dans la démarche. Aujourd’hui, renforcée par la crise et le télétravail, on parle de l’organisation du travail comme étant intimement liée aux questions de santé et qualité de vie au travail. On doit trouver au sein de l’organisation des réponses en termes de mode de management, de coopération, de coordination du travail. C’est l’un des grands chamboulements de la crise sanitaire et du développement du télétravail. »


E&S On doit donc s’inscrire dans une démarche de progrès…

Laurence Thery : « La QVT est une démarche de dialogue social qui permet de définir collectivement les progrès à faire. Dit clairement : « On ne fait pas tout, tout de suite ». On choisit un ou plusieurs axes, en définissant les objectifs préférentiels, en faisant l’état des lieux partagé, en choisissant les modalités de réalisation et d’évaluation. Les enjeux du travail sont au cœur de la stratégie d’entreprise, autant que les marchés par exemple. La prévention fait partie des enjeux du travail : elle est au cœur de tous les projets de l’entreprise. »


E&S Peut-on revenir sur la performance ?

Laurence Thery : « De manière schématique, la question ne se pose plus ! Dans son rapport d’avril 2019, le Conseil national de la productivité conclut que l’organisation pyramidale des entreprises et la faiblesse du dialogue social constituent un point faible des entreprises françaises pesant sur la compétitivité. Le mode de management rigide et vertical joue sur la compétitivité car il empêche la prise d’initiative et l’innovation.  En investissant sur la santé et la qualité de vie au travail, les entreprises ont un retour sur le plan économique, cela passe par un management de la délégation, de la confiance, du partage. Le mode de management des entreprises est un coût indirect qui pèse sur la compétitivité de l’entreprise. La crise sanitaire est un accélérateur de cette prise de conscience si l’on en croit les problèmes d’attractivité et de fidélisation dans de nombreux secteur en tension. Des branches professionnelles sont pleinement impactées : café-hôtel-restaurant, transports, services à la personne, logistique… La question de la fidélisation des salariés du fait des conditions de travail est ouverte. »


E&S Quel conseil donner à une TPE ou une PME ?

Laurence Thery : «C’est avec des salariés compétents, formés tout au long de la vie et travaillant dans des conditions de santé que l’entreprise peut se développer économiquement de façon durable. Et ce, dans des combinaisons à construire par le dialogue social. Il y a une évolution du rapport au travail : nous cherchons tous un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. De plus en plus, nous cherchons à donner du sens à notre vie, et donc du sens à notre travail. »

Bio Express

Laurence Thery

Le fil conducteur de la carrière de Laurence Thery repose sur sa conviction qu’on ne peut dissocier la performance économique et la performance sociale. Ses activités professionnelles ont toujours été centrées sur l’entreprise, ses acteurs et ses réalités socio-économiques :

• 1998-2003 : inspectrice du travail, ministère du Travail.

• 2003-2007 : secrétaire confédérale en charge de la santé au travail, Confédération syndicale.

• 2009-2017 : directrice, Cestp-Aract de Picardie

• 2017 à aujourd’hui : directrice de l’Aract Hauts-de-France et déléguée régionale de l’Anact.

La santé au travail, la formation professionnelle, la gestion des compétences, la qualité des emplois et l’amélioration des conditions de travail ont été pour Laurence Thery des questions récurrentes traitées selon des positionnements différents en fonction de ses responsabilités. Pour elle, « C’est avec des salariés compétents, formés tout au long de la vie et travaillant dans des conditions de qualité que l’entreprise peut se développer économiquement de façon durable ». Ces convictions et son parcours lui ont apportée une connaissance pratique des partenaires sociaux, de leurs stratégies, de leurs valeurs, de leurs modalités d’action et de leur organisation. Laurence Théry précise : « Mes différentes expériences profession-nelles, enrichies à l’ARACT, s’appuient sur une compréhension et un respect des problématiques de chacun ».

1 - Loi n° 73-1195 du 27 décembre 1973 relative à l’amélioration des conditions de travail.
2 - Loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail.

(Publié dans le N°57 : Loi du 2 août 2021, Risques professionnels : quoi de neuf ?) le 14/01/2022