Christian Morel, médecin du travail

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« Rien de plus valorisant que d’avoir sorti une petite entreprise d’une situation compliquée ! »

Passer de l’aptitude médicale à la santé au travail

Dans une TPE ou une PME, la santé de chacun, chef d’entreprise et salariés, est particulièrement importante. Elle concourt directement à la pérennité et au développement de l’entreprise. Depuis la loi du 2 août 2021, les services de santé au travail interentreprises sont devenus services de prévention et de santé au travail. Gadget ou évolution notable ? Pour le savoir, E&S a rencontré le Dr Christian Morel, médecin du travail à PÔLE SANTÉ TRAVAIL Métropole Nord, médecin conseil régional auprès de l’OPPBTP1 Hauts-de-France et médecin référent à l’Arias2. Christian Morel est médecin du travail depuis plus de 35 ans.

E&S : En une phrase, comment résumer vos 40 ans de carrière ?

Christian Morel : « Nous sommes passés de l’aptitude médicale à la santé au travail. Et, depuis la loi du 2 août 2021, nous avons parmi nos missions principales celle d’aider les TPE et PME pour l’évaluation des risques et la définition d’actions de prévention, dans le cadre de l’élaboration et l’actualisation de leur document unique d’évaluation des risques professionnels. Certes, nous maintenons évidemment les visites médicales pour les salariés. Mais aussi, et de plus en plus, nous développons nos actions de conseil auprès des entreprises sur leur programme de prévention. Pour préserver et améliorer la santé de chacun. »

E&S : Vous avez un exemple ?

Christian Morel : « Même deux ! Voire trois… Par exemple, j’ai reçu très récemment le chauffeur routier d’une PME. L’examen médical a objectivé une perte importante de la vision. Nous avons du prendre, avec lui et son employeur, des dispositions d’urgence pour son maintien en emploi. Autre exemple : dans une TPE, des mesures organisationnelles d’une part et d’aménagement de poste d’autre part, ont permis à une salariée d’aller beaucoup mieux malgré sa maladie rhumatismale, en prenant moins de médicaments, de comprimés et infiltrations, et moins d’arrêts de travail… Je pourrais citer d’autres exemples, où nous intervenons sur la prévention primaire. C’est à dire la maîtrise des risques à la source, pour éviter toute altération de la santé et favoriser le bien-être au travail »

E&S : Vous dites « nous » !

Christian Morel : « Oui. Car je travaille en équipe. Comme l’essentiel de mes confrères. Dans le respect des textes législatifs et règlementaires, nous parlons aujourd’hui d’une offre de service auprès des entreprises : globale, harmonisée, recevable et validée. Une offre de service de proximité, proposée et réalisée par l’équipe de santé au travail. Cette offre comprend un volet médical et un volet prévention. Le volet médical correspond au suivi individuel de santé au travail. Le volet prévention comprend l’aide à l’évaluation des risques et à la mise en place d’actions de prévention, d’information et de sensibilisation. »

E&S : Pour une entreprise, la cotisation au service de prévention et de santé au travail recouvre donc bien d’autres choses que la visite médicale de ses salariés…

Christian Morel : « Oui. Et depuis de nombreuses années ! Répétons-le : la cotisation, ce n’est pas que la visite médicale ! Il suffit de consulter les sites des différents SPSTI3 pour s’en convaincre. Des entreprises l’ont compris, d’autres, moins … Nous réalisons un suivi individuel de santé au travail, adapté à chaque salarié, en fonction des risques auxquels il est exposé, de son âge et de sa santé. Nous le faisons notamment grâce à des infirmières et infirmiers spécialisés en santé au travail. Nous intervenons auprès des employeurs et des salariés en prévention primaire. Nous le faisons grâce à des intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP) : ingénieurs, techniciens de métrologie, toxicologues, psychologues, ergonomes, etc.»

E&S : Quel intérêt pour une TPE ou une PME ?

Christian Morel : « Quand on fait appel à un artisan, le respect des délais est essentiel. Avoir des salariés en bonne santé y concourt directement. Pour une TPE ou une PME, plus que pour une grande entreprise, promouvoir la bonne santé des salariés préserve directement la performance de l’entreprise et la qualité de la production. Cela diminue aussi, voire évite, l’absentéisme. Sur le plan légal, l’employeur est responsable de la santé mentale et physique de ses salariés. Tout cela fait que les TPE et PME sont de plus en plus attentives à nos préconisations. Soyons réaliste : la conjoncture n’est pas facile. Toutes les préconisations ne peuvent pas être mises en œuvre tout de suite. « Si vous faites l’objet d’un contrôle, n’hésitez pas à dire que je suis passé » : voilà ce que je dis souvent cela aux entreprises, dans un souci de dialogue et de promotion de nos préconisations. »

E&S : Quel équilibre entre " aptitude " et " inaptitude " ?

Christian Morel : « C’est une question essentielle. En santé au travail, la part médicale reste importante et on reste médecin du travail. Il n’y a pas de visite médicale inutile, même si on juge qu’elle n’est pas forcément nécessaire. Quand un salarié est devant moi, je sais qu’il a dû y consacrer du temps. Au cours de l’échange, il y a toujours un message « santé » à faire passer. Il doit repartir avec « un plus ». Le salarié en difficulté peut voir le médecin du travail, à sa demande. Aujourd’hui, je suis plus face à des salariés qui sollicitent l’inaptitude médicale, comme solution à leur situation personnelle. Or, je ne peux pas mettre des inaptitudes sur simple demande ! Je dois alors trouver la moins mauvaise solution possible. La décision d’inaptitude est une décision médicale vis-à-vis d’une personne. Sur des critères médicaux, en intégrant l’impact pour la personne mais aussi le collectif de travail. »

E&S : Peut-on parler de la visite de mi-carrière ?

Christian Morel : « La loi du 2 août 2021 met l’accent sur la prévention de la désinsertion professionnelle : nous devons tout mettre en œuvre pour maintenir en emploi un salarié fragilisé par sa santé. Pour cela, nous avons la visite de mi-carrière. À 45 ans, elle permet de réfléchir à la deuxième partie de la carrière. Il faut agir avant une éventuelle dégradation de la santé. C’est d’autant plus important, avec le vieillissement de la population qui devra sans doute travailler plus longtemps. On va donc avoir à suivre plus de salariés en fin de carrière prenant donc de l’âge. Pour cela, il faut absolument développer le dialogue entre médecin, entreprise, branche professionnelle. Mais, notre métier, ne doit pas être la gestion administrative et sociale d’une politique nationale de maintien en emploi ! C’est un accompagnement individualisé et " sur mesure ", réalisé en équipe. »

E&S : Et la visite de fin de carrière ?

Christian Morel : «On l’appelle également visite de fin d’exposition, pour proposer un suivi post-professionnel. Elle est bien comprise par les entreprises et leurs salariés. Au moment du départ à la retraite ou de fin d’activité, nous devons prendre en compte l’exposition à des nuisances à effets différés. Cela concerne des risques (notamment les substances CMR) tels que le bois, l’amiante, la silice, et donc différents cancérigènes. Vous quittez le poste, voilà ce que nous vous préconisons : scanner à 20 ans ou 30 ans (amiante), radio pulmonaire à 10 ou 20 ans (silice), etc. Il existe aujourd’hui les bilans de fin d’exposition, selon notamment les préconisations de la Haute Autorité de Santé (HAS). La traçabilité des expositions, avec des outils dématérialisés, est donc devenue essentielle. Le but est aussi de pouvoir dire dans un bassin d’emploi ou une branche professionnelle : ces salariés ont été exposés à tel risque. »

E&S : La prévention prend de plus en plus d’importance…

Christian Morel : « Tout à fait. Au quotidien, nous faisons face aux risques physiques à effets immédiats (ex. : manutention, risques chimiques…) et mentaux (ex. : stress, risques psychosociaux, conflits…). Pour toutes les équipes, qu’elles soient des SPSTI, de la Carsat ou de l’Aract, les risques émergents (nanoparticules, télétravail, etc.) et les risques différés (amiante, silice, bois, risques cancérigènes…) sont d’actualité. Pour tous les risques, il faut travailler en amont, afin de maîtriser les expositions tout au long de la carrière professionnelle. Pour les jeunes générations, le focus environnemental n’est pas un vain mot ! Enfin, nous devons aussi nous préoccuper des risques de santé publique : tabac, alcool, activité physique. »

E&S : Votre métier de médecin du travail est en pleine évolution, en fait !

Christian Morel : « En pleine mutation, plutôt ! Avant nous faisions essentiellement des visites médicales d’aptitude. La délivrance du certificat d’aptitude annuel était l’activité principale. C’est fini ! Nous apportons aujourd’hui une approche de santé globale, orientée vers le risque professionnel, en tant que spécialiste de la santé au travail. L’entreprise a une problématique de type risque, quelle solution pouvons-nous préconiser ?
Nous sommes partenaires de cette entreprise, au service de la direction et de ses salariés. Nous sommes leur interlocuteur privilégié, avec une évolution vers la santé publique, des liens avec la médecine de ville se développent dans le respect de la confidentialité de chacun et l’intérêt du salarié. C’est un métier de plus en plus compliqué avec des gens de plus en plus exigeants, qui sont de mieux en mieux informés et conseillés. C’est un travail intéressant et passionnant. Avec un impact fort. Si les préconisations ne sont pas prises en compte et que survient un problème, il faut en assumer les conséquences vis-à-vis des autorités. Une entreprise, grande ou petite, qui ne suit pas nos préconisations doit le justifier. »

E&S : Quelles sont vos difficultés majeures ?

Christian Morel : « Répondre à toutes les exigences qui tombent de partout ! Nous travaillons en " mode pompier ", trop souvent dans l’urgence. Il manque de médecins. La problématique n°1 de tous les SPSTI est la démographie médicale : nous n’avons pas le vivier médical qui nous permettrait d’être en nombre suffisant. Du coup, nous avons le sentiment de ne pas pouvoir tout faire comme on le voudrait. »

E&S : En conclusion, que dire ?

Christian Morel : «Rien de plus valorisant que d’avoir sorti une petite entreprise d’une situation compliquée ! Il y a toujours quelque chose dans la journée dont je ne suis pas mécontent… Si on s’en donne les moyens, la santé au travail est des plus utiles pour une TPE ou une PME..»

Biographie express - Christian Morel

À la rentrée universitaire 1974-75, Christian Morel démarre ses études de médecine. À la fin de ses études, il s’oriente vers la médecine générale et fait deux années de remplacement à Roubaix et Saint-Omer. Ayant passé le certificat de spécialisation en médecine du travail, il assure quelques vacations (1982) dans le service interentreprises de Roubaix avant d’y être embauché en 1985. Christian Morel précise : « À l’époque, il n’y avait pas beaucoup de places disponibles en médecine du travail ». Il découvre un métier qu’il trouve passionnant, qui associe le monde de la santé et le monde du travail. Il décide d’y rester.

  • Depuis 2010 : Médecin du travail à PÔLE SANTÉ TRAVAIL Métropole Nord, du fait de la fusion de six services de médecine du travail interentreprises de l’agglomération Lilloise et des Flandres intérieures.
    • Fonction transversale : référent BTP et référent amiante.
    • Depuis 2014 : Médecin conseil régional à l’OPPBTP.
    • Depuis cette époque : membre de l’Arias, avant d’en intégrer le Conseil d’administration.


Sur près de 40 ans Christian Morel a vécu de l’intérieur le passage de la médecine du travail à la santé au travail. Au sein de PÔLE SANTÉ TRAVAIL Métropole Nord, il exerce des fonctions transverses de référent BTP et référent amiante. Sur le plan national, il est formateur au sein de l’Afometra (Association de formation continue en santé au travail).

(Publié dans le N°59 : Santé au travail, comment ça va en Hauts-de-France ?) le 18/07/2022