Nathalie Lachambre, ergonome ASMIS

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« Si je suis là, c’est que vous pensez que la santé des salariés est un des facteurs de la performance de votre entreprise »

« Une amélioration de situation de travail est toujours bénéfique au collectif »

L’intervention d’un ergonome au sein d’un collectif et d’une situation de travail réduit les risques professionnels, sur le plan humain, économique et social. A l’ASMIS, Association Santé et Médecine Interentreprises du département de la Somme, Nathalie Lachambre est psychologue du travail et ergonome depuis 20 ans. En liaison avec le médecin du travail concerné, elle est intervenue, dans plusieurs centaines d’entreprises, notamment des TPE et PME. Elle nous partage sa conviction :
« l’entreprise a un retour sur investissement ! ».

E&S Vous ne proposez pas un aménagement en ergonomie, sans en aborder le retour sur investissement pour l’entreprise. Pourquoi ?

Nathalie Lachambre : « Bon… Déformation professionnelle ! J’ai commencé mon activité d’ergonome dans le maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés, en apportant des aides financières conséquentes grâce à l’Agefiph(1). La question de la pertinence de l’attribution de ces aides financières aux entreprises et au salarié a toujours été, pour moi, une évidence. Il nous faut utiliser ces fonds à bon escient ! Pour les médecins du travail et moi-même, nous devons partager la certitude que le ou la salarié(e) qui bénéficie de ces aménagements adaptés à sa situation, bénéficie aussi d’une amélioration de sa réalisation dans le travail. Et donc d’une amélioration du travail fait pour son entreprise, en préservant son savoir et ses compétences. »

E&S Vous dites souvent qu’une aide financière est d’abord collective…

Nathalie Lachambre : « Oui. Soyons concret et imagé : si Germaine a mal au dos et le dit… Bernard ne dit peut-être rien ! Pourtant, les problèmes de Germaine et Bernard sont les mêmes, à ce poste de travail. L’investissement pour améliorer la situation de travail, et l’aide financière éventuelle, doivent être bénéfiques à chacun. Une amélioration de situation de travail est toujours bénéfique au collectif. Avec l’aménagement réalisé grâce à l’ergonomie : Germaine et Bernard vont produire plus et mieux en moins de temps, en préservant leur santé mentale et physique. Dans ce cas-là, je sais que nous avons gagné. Une entreprise ne peut pas perdre de l’argent. C’est un principe de réalité ! Sinon, comment fait-elle »


E&S Mais… Vous êtes là pour la santé ou pour les résultats économiques ?

Nathalie Lachambre : « Euh… Les deux !
La promotion et le développement de la santé en entreprise rejoint les résultats économiques. Il faut arrêter d’opposer les deux. Dit autrement et encore de manière imagée : ne suis-je pas un caméléon ? Peut-être… J’entends des interlocuteurs différents. Je dois les comprendre. Je dois parler leurs langages et comprendre leurs représentations. Une grande usine est différente d’une grande association, elle-même différente d’une PME ou d’une TPE. Je dois entrer dans la logique de l’autre et trouver le chemin commun à chacun, qui soit viable économiquement. En TPE et PME, l’employeur a « sa boite » à faire tourner ! Je l’aide, ainsi que son ou ses salariés. Je rends aussi de l’humanité. Trouver une solution technique, ce n’est pas un souci ! Atteindre l’amélioration de la production et de la qualité, c’est là que se situe la réussite. »

E&S Avec un tel discours, vous ne choquez pas les salariés ?

Nathalie Lachambre : « Vous savez… Le salarié cherche à bien faire son travail. C’est ma conviction. Disons, pour au moins 97 % d’entre eux. Il y a aussi tous les métiers – et ils sont nombreux - où l’on ne badine pas avec la sécurité. Prenons un exemple concret : celui des bidons dans une PME. Quand je suis intervenue, avec mon œil neuf dans l’entreprise, j’ai développé une solution globale. Elle a été bénéfique à l’ensemble des salariés. Il fallait manipuler des bidons de 20 litres. C’est plus long que manipuler quatre bidons de 5 litres. C’est assez évident… Et on a un sentiment d’efficacité, que l’on n’a pas avec un bidon de 20 litres… qui est trop lourd. On peut aussi alors se retrouver à deux sur une distance donnée. Et retrouver chacun de l’autonomie… Le salarié, qui était en difficulté avec les bidons de 20 litres, n’est plus une " gêne ". La solution est globale. Chacun y gagne ! »

E&S Comment abordez-vous une entreprise ?

Nathalie Lachambre : « Je leur dis : « si je suis là, c’est que vous pensez que la santé des salariés est un des facteurs de la performance de votre entreprise ». Avec mon collègue, Quentin Petit, nous allons jusqu’à identifier des fournisseurs et faire des essais en entreprise. Il faut vérifier que ce que nous préconisons marche en situation réelle de travail. Il en va de la validité de l’investissement. Nous devons savoir, chef d’entreprise, salariés et moi-même, que la solution sera utilisée. »

E&S Quelle est votre spécificité, en tant que service de prévention et de santé au travail ?

Nathalie Lachambre : « Nous sommes dans le service concret à l’entreprise et dans son accompagnement désintéressé. Nous sommes sans but lucratif et nous ne faisons pas de recherche. N’avons pas de mission de contrôle, ni d’assureur. Le médecin du travail et l’équipe de santé au travail, mon collègue ergonome et moi, nous recherchons l’intervention efficace pour l’employeur et les salariés : cela doit marcher. Ai-je toutes les clés ? C’est l’intérêt des groupes de travail dans l’entreprise où chacun s’exprime et apporte ses compétences. »

E&S Vous dites « Accompagner » …

Nathalie Lachambre : « Oui. Accompagner l’entreprise adhérente. Lui permettre d’identifier des solutions en interne. Mais aussi la mettre en relation avec des solutions en externe… Par exemple, pour l’obtention d’une aide financière de la Carsat, nous pouvons mettre en contact. Il y a alors le langage de l’employeur et le langage de la Carsat. Les deux langages sont compatibles et respectables. J’assure la connexion ! »

E&S Mais alors… Chaque entreprise est source d’enseignements ?

Nathalie Lachambre : « Oui ! Avec Quentin Petit, mon collègue, nous faisons à chaque intervention un retour d’expérience. Comme toute entreprise ! Ce retour d’expériences est aussi utile à l’entreprise. Que de fois, au détour de notre intervention, l’entreprise a réalisé qu’elle pouvait progresser en qualité, créer de nouvelles activités, voire gagner de nouveaux marchés. »

E&S Un dernier mot ?

Nathalie Lachambre :
« Le plus grand facteur de performance est l’humain. Et la réalité du salarié : c’est de bien faire son travail. Être psychologue est un atout, car on ne remet jamais en doute : on essaye de comprendre. Si un salarié fait cela : pourquoi il le fait, autant que comment il le fait ? Il faut comprendre le contexte. La période du Covid a ouvert un champ de réflexions inouïes. Par rapport à la pénibilité, physique ou mentale, peut-on faire autrement ? Il y a un enjeu gagnant entre amélioration d’une situation de travail, lien social et performance économique. D’où l’importance essentielle des essais dans un aménagement. Même en parlant « économie et retour sur investisse-ment » on peut redonner de l’humanité et de l’importance au salarié. On aide à honorer la responsabilité sociale et sociétale de l’entreprise ».

Prévention et santé au travail - 1 € investi… 2,7 € en retour !

Nathalie Lachambre aime à citer les études menées depuis 2010 par l’OPPBTP. Elles confirment ses propos, sur la base d’analyses comptables détaillées d’actions de prévention menées dans des TPE-PME : 101 actions analysées en 2013 pour 310 actions analysées en 2020. Le sérieux de ces études est largement reconnu.

Ces actions de prévention sont diverses : achat de machine, de matériel ou d’équipement, formation des salariés, changement de processus ou de mode opératoire, réorganisation et/ou réaménagements, etc. Que ce soit en chantier ou en atelier.

Menées au sein de TPE et PME, ces analyses comptables détaillées prennent en compte :

  • Le coût d’investissement : achats, temps passé, formation, etc.
  • Les gains obtenus : hausse de productivité, temps gagné, gains de qualité, marge, etc.

Ils permettent de calculer les « ratio gains/coût » et le « payback » (délai de retour sur investissement).

Les ratio gains/coûts sont variables selon l’action réalisée. Dans 90 % des cas ils sont supérieurs ou égaux à 2. Selon les cas étudiés, ils peuvent atteindre 3 voire 5. Le délai de retour sur investissement est en moyenne de 18 mois. Comme quoi, les comptables
le prouvent : la prévention et la santé au travail, c’est rentable !

BIOGRAPHIE EXPRESS

Nathalie Lachambre, ergonome ASMIS

Psychologue du travail, Nathalie Lachambre a ensuite passé une spécialité de cinq ans d’études en ergonomie à Paris. Après avoir travaillé dans le champ de l’adaptation de poste auprès des travailleurs handicapés, elle est devenue ergonome au sein de l’ASMIS, Association Santé et Médecine Interentreprises du département de la Somme

  • 1993 : Diplôme de psychologie
  • 1993 : Diplôme d’ergonomie Ergo-nome Appliqué interface Homme Machine.
  • 1995 : Mise en place du Sameth dans le département de la Somme (Service d’aide au maintien dans l’emploi du travailleur handicapé)
  • 2003 : Ergonomie à Asmis
  • 2010-2012 : formation de directrice d’établissements médico-sociaux.

Ayant complété son cursus par une formation à la gestion et la direction d’établissement médico-sociaux, Nathalie Lacambre garde une conviction profonde : la solution réside dans le travail en réseau.

1-Association nationale de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées.

(Publié dans le N°61 : Chartes Carsat, Présanse et SPSTI: c'est signé !) le 23/01/2023