Léa Leroy, Interne en médecine et santé au travail – Dorothée Vincent Médecin collaboratrice en santé et travail, ASMIS – Sylvain Chamot Chef de clinique en médecine et santé au travail, CHU Amiens

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« Médecine et santé au travail,  l’avenir est devant ! »

« En faculté de médecine, on ne dit plus médecine du travail mais médecine et santé au travail 28 Entreprise »

« La société est en attente : la santé au travail est une préoccupation sociétale particulièrement forte »

Les déserts médicaux fleurissent un peu partout en France. Et la médecine du travail, comme les autres spécialités, n’est pas épargnée. En outre, en faculté de médecine, on ne dit plus « spécialité de médecine du travail » mais « spécialité de médecine et santé au travail ». Que se passe-t-il ? Pour le savoir, Entreprise & Santé a rencontré Sylvain Chamot, Léa Leroy et Dorothée Vincent. Sylvain Chamot est chef de clinique en médecine et santé au travail au CHU d’Amiens, responsable de la formation des étudiants en médecine et santé au travail pour la subdivision d’Amiens. Il est aussi responsable du site amiénois du Centre régional de pathologies professionnelles et environnementales des Hauts-de-France. Léa Leroy est interne en médecine et santé au travail au CHU d’Amiens. Dorothée Vincent est une médecine généraliste, qui s’est reconvertie en médecine et santé au travail. Elle est aujourd’hui médecin collaboratrice à l’ASMIS1. Ensemble, ils regardent l’avenir.

E&S La spécialité de « médecine du travail » est devenue « médecine et santé au travail ». Qu’est-ce-que cela change ?

Sylvain Chamot : « Notre spécialité de " médecine et santé au travail " n’est pas que centrée sur le rôle médical. On pourrait même dire que c’est une spécialité qui, en fait, n’existe pas par elle-même, car elle n’existe que grâce à « l’équipe pluridisciplinaire ». C’est-à dire les techniciens et ingénieurs HSE, les ergonomes, les psychologues du travail, les assistantes sociales, les assistants santé travail, les infirmiers spécialisés en santé au travail, les secrétaires médicales. Les infirmiers de santé au travail sont les collaborateurs quotidiens du médecin en santé au travail. Comme les infirmiers le sont en ville, à l’hôpital ou en clinique. Notre spécialité est en avance par rapport à d’autres spécialités, grâce aux protocoles, aux délégations, à la coordination d’équipes… En fait, je n’aurais sans doute pas fait la spécialité de médecine du travail, il y a 20 ans… Je suis très heureux de faire la spécialité de médecine et santé au travail, aujourd’hui. »

Dorothée Vincent : « Il y a quelques années, je ne me serais pas reconvertie en médecine du travail. Aujourd’hui, je ne regrette pas mon choix. En tant que médecin généraliste, ayant exercé plusieurs dizaines d’années en libéral, j’ai fait le choix de reprendre des études, soit quatre années pour obtenir le Diplôme inter universitaire « pratiques médicales en santé travail ». Comme dit Sylvain, le travail en coordination avec une équipe pluridisciplinaire n’existe pas dans d’autres spécialités médicales. C’est vraiment une spécialité particulière… et à part entière !

Léa Leroy : « Pour ma part, j’ai commencé la spécialité de « médecine générale ». C’était mon choix. J’ai découvert la santé au travail lors d’un stage dans un service de prévention et de santé au travail. Ce fut une véritable découverte ! Il y a un décalage abyssal entre les représentations vis-à-vis de la médecine du travail et la réalité de la santé au travail. Je trouve un grand bonheur d’exercer en médecine et santé au travail. »

E&S Va-t-on vers des « déserts de médecin et santé au travail », à l’instar des « déserts médicaux » que l’on rencontre en médecine générale ou d’autres spécialités ?

Dorothée Vincent : « Nous y sommes déjà ! Les déserts médicaux en santé au travail existent comme en médecine générale. C’est très clair !

Sylvain Chamot : « C’est vrai, mais la situation pourrait être plus catastrophique. Nous faisons tout pour freiner et inverser cette tendance. Dans 5 à 6 ans, le déficit en médecins du travail pourrait être multiplié par deux en Picardie ! La pyramide des âges de la profession nous est défavorable… La « médecine et santé au travail » n’est pas un choix prioritaire des internes… À la faculté de médecine d’Amiens, nous avons neuf internes. C’est un succès qui repose en partie sur le fait que nous créons des ponts, pour faire connaître la spécialité. »

E&S Justement… la spécialité « médecine et santé au travail » est très peu retenue dans leurs choix de spécialité par les internes de médecine. Pourquoi ?

Sylvain Chamot : « Au sein des enseignants de médecine, nous cherchons des solutions face à cette situation... Il faut développer l’attractivité de la spécialité, qui est très méconnue et peu valorisée. Certains enseignants s’interrogent sur le fait d’ouvrir l’exercice de la médecine et santé au travail. C’est à dire de permettre des exercices partagés de spécialités. Mais ceci demandera du temps pour que l’idée aboutisse… »

Léa Leroy : « Dans le cycle des études médicales, l’enseignement de la médecine et santé au travail pourrait se faire plus tôt et de manière plus pragmatique. Comme toutes les autres spécialités cliniques…

Dorothée Vincent : En médecine, nous sommes formés pour le « soin » : diagnostic et thérapeutique. Pour choisir la spécialité de médecine et santé au travail, il nous faut intellectuellement envisager un autre chemin : celui de la prévention. Nous faisons un acte médical complexe : analyse de la situation et propositions de mesures de prévention. »

E&S Un médecin en exercice peut se reconvertir en médecine et santé au travail. Que pouvezvous nous en dire ?

Dorothée Vincent : « Oui, un spécialiste en médecine générale peut se reconvertir, au cours de sa carrière professionnelle en médecine et santé au travail. Les médecins qui s’interrogent sur leurs métiers au bout de plusieurs années d’exercice sont très nombreux. Pour des raisons personnelles, certes. Mais, aussi et surtout, du fait de l’évolution du mode d’exercice de la médecine. La spécialité de médecine et santé au travail ouvre des perspectives de carrière et de nouveaux horizons professionnels : agir en prévention, travailler en équipe, être utile aux salariés et leurs employeurs. »

Sylvain Chamot : « Effectivement… Le médecin en reconversion vers la médecine et santé au travail, qu’il soit par exemple urgentiste ou médecin généraliste, doit passer le diplôme interuniversitaire « pratiques médicales en santé au travail ». Cette formation dure 4 ans, pendant lesquelles il a le statut de médecin collaborateur au sein d’un service de prévention et de santé au travail, encadré par un médecin en exercice qui devient son tuteur. Au terme de ces quatre années, après la soutenance d’un mémoire, il devient spécialiste de médecine et santé au travail, à part entière. »

E&S Médecine et santé au travail : quel avenir ?

Léa Leroy : « Son avenir est conditionné à une meilleure connaissance de la spécialité. Autant au niveau de la société, qu’auprès des étudiants en médecine et des médecins en exercice. Au cours de mes études, j’ai rencontré des médecins du travail : cela m’a « ouvert les yeux » ! J’ai eu un autre regard sur cette spécialité, qui est très moderne et répond à des problématiques majeures de santé. En tant qu’interne en médecine et santé au travail, permettez-moi d’être directe : je m’éclate ! Cela ouvre un champ de connaissances, de compétences et de réflexion tellement vaste. »

Sylvain Chamot : « Tout à fait ! À ce propos, on est sorti de la décision médicale « apte-inapte ». Pour vraiment entrer dans une mission de conseils auprès des entreprises et de leurs salariés, au sein d’une équipe pluridisciplinaire. »

Dorothée Vincent : « Oui, c’est un métier d’avenir. C’est une certitude ! Au-delà du cadre législatif et règlementaire, il faut regarder ce que nous apportons. La société est en attente : la santé au travail est une préoccupation sociétale particulièrement forte Intellectuellement et humainement, c’est très enrichissant. »

Sylvain Chamot : « En conclusion, je dirai que ce métier ne disparaitra jamais. Il évolue. Il nous faut être clair, tous ensemble, sur les solutions démographiques à trouver pour la profession. Il nous faut être visible et mieux reconnu. Et il y a des perspectives d’ouverture… Par exemple, les médecins de santé au travail de par leur expertise dans le domaine de l’évaluation des risques, notamment chimiques, sont les plus proches d’une préoccupation majeure et émergente : la santé environnementale. »

BIOGRAPHIE EXPRESS

Léa Leroy, interne en médecine et santé au travail

Étudiante en médecine, Léa Leroy se destinait tout naturellement vers la spécialité de médecine générale. En novembre 2019, elle a donc commencé un internat de médecine générale. Puis, après un stage auprès de médecins du travail et au nom du « droit au remords », elle a effectué un changement de spécialité. En Novembre 2021, elle s’est orientée vers la médecine et santé au travail. Souhaitant poursuivre une carrière d’enseignante en médecine et santé au travail, elle est pleinement investie dans les activités universitaires à Amiens.

Dorothée Vincent, médecin collaboratrice en santé et travail, ASMIS

Au cours de ses études de médecine, Dorothée Vincent a choisi la spécialité de médecine générale. Installée en libérale, elle a exercé la médecine générale pendant 21 ans. En 2019, elle s’est réorientée vers la spécialité de médecine et santé au travail, en reprenant donc 4 ans d’études. Depuis 2019, elle est médecin collaborateur en santé et travail auprès de l’Asmis. Passionnée par l’enseignement et le partage de ses connaissances et de son expérience, elle participe aux activités universitaires à Amiens.

Sylvain Chamot, chef de clinique en médecine et santé au travail, CHU Amiens

Durant ses études de médecine, Sylvain Chamot a choisi l’internat de spécialité en médecine générale. Il est aujourd’hui chef de clinique en médecine et santé au travail au CHU d’Amiens. Il est donc en charge de la formation des étudiants dès leur première année d’études, des internes et des collaborateurs médecins. Au niveau de la faculté de médecine d’Amiens et du CHU d’Amiens, Sylvain Chamot apporte une nouvelle dynamique pour le développement et la reconnaissance de la spécialité médecine et santé au travail. Il a ouvert des relations très étroites avec les services de prévention et de santé au travail de Picardie, qui accueillent de plus en plus d’étudiants en médecine afin de leur faire découvrir leurs métiers.

1-Association de santé et médecine du travail interprofessionnelle de la Somme.

(Publié dans le N°63 : Fortes chaleurs et canicule) le 10/07/2023