Xénophon Vaxevanoglou Docteur en Ergonomie et Psychologie du Travail, Ergonome Européen®

Partager

« Les changements, suite à la crise sanitaire, sont irréversibles »

« Le télétravail repose sur des accords au sein de chaque entreprise… et le volontariat de chacun ! »

La crise du Covid-19 a bouleversé nos rapports au travail et nos relations au sein des entreprises. Le retour au travail, après des mois de confinements, n’a pas toujours été simple… Et le télétravail semble être devenu incontournable. Docteur en Ergonomie et Psychologie du Travail, Ergonome Européen®, Directeur du Master Ergonomie Santé et Développement de l’Université de Lille, Xénophon Vaxevanoglou a accepté de répondre à nos questions. Ses années d’expérience, auprès de nombreuses entreprises et institutions, lui confèrent une expertise de haut niveau, à laquelle il associe un pragmatisme conséquent, avec agilité et clairvoyance.

E&S: Vous dites que la crise sanitaire a mis « tout le monde à distance », et non pas en télétravail. Pourquoi ?

Xénophon Vaxevanoglou : Les confinements, décidés dans le cadre de la crise sanitaire, ont effectivement imposé une mise à distance de chacun. Personne n’a eu le choix : ni les salariés, ni les employeurs. Et cela n’était pas du télétravail au sens défini par les textes. Le télétravail repose sur des textes bien antérieurs à la crise sanitaire. Au moment de la crise sanitaire, peu d’entreprises avaient un accord collectif en matière de télétravail. D’autres avaient des arrangements occasionnels. Et, rappelons-le, ces accords ont été suspendus pendant la crise sanitaire.  Ils ont repris après ! La mise à distance imposée était un aménagement de poste obligatoire. Attention, il ne faut pas le confondre avec un télétravail organisé et volontaire. Pour mémoire, la crise sanitaire a même mis à distance des salariés qui ne pouvaient pas télé-travailler. Par exemple : la restauration, l’hôtellerie, les services à la personne, le BTP… Ces secteurs d’activité sont aujourd’hui « en tension ».

E&S Le volontariat est donc intrinsèque au télétravail…

Xénophon Vaxevanoglou : Oui. Le télétravail est un mode d’organisation du travail, mis en place, par une entreprise, sur la base du volontariat. Le télétravail relève des prérogatives de l’employeur. Les textes législatifs et règlementaires définissent clairement le télétravail comme un travail volontaire reposant sur des accords au sein de l’entreprise. Il est organisé par l’employeur au domicile déclaré du salarié, avec son volontariat et son accord. Ce n’est pas à discrétion du salarié. Les salariés travaillent en télétravail, selon l’organisation définie par l’entreprise, les moyens et les horaires de l’entreprise. Le cadre organisationnel est celui de l’entreprise. Par exemple, le briefing quotidien peut être imposé.

E&S Aujourd’hui, le télétravail est-il très demandé par les salariés ?

Xénophon Vaxevanoglou : Oui. Et Il y a bien « un avant » et « un après ». Aujourd’hui, il y a une très forte demande de télétravail de la part des salariés. Par exemple, tous les DRH que je rencontre me disent que la première question des candidats à un poste est : Y’a-t-il du télétravail dans votre entreprise ? J’aurai combien de jours de télétravail ? Existe-il un accord sur le télétravail et la QVT ? Bien avant les questions relatives à la rémunération. Et cela ne concerne pas que les jeunes générations ! Ce changement, pour moi, est irréversible.

E&S Comment l’expliquez-vous ?

Xénophon Vaxevanoglou : Lors de la crise sanitaire, des millions de salariés ont découvert les bienfaits de l’auto-organisation, tout en évitant la galère des transports. Et tout en découvrant les bienfaits d’un nouvel équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Et même l’encadrement qui était majoritairement hostile au télétravail avant la crise ! Car le cadre est aussi un potentiel télétravailleur.

E&S: Pourtant, pour l’encadrement, ce n’est pas si simple !

Xénophon Vaxevanoglou : Le télétravail questionne clairement sur le collectif, la coopération, la coordination et le contrôle. Tout cela avec des équipes éclatées, utilisant des technologies collectives et interactives. Cependant le télétravail présuppose des relations de confiance, à intégrer dans le fonctionnement de l’entreprise. Or, en France, l’encadrement est plus formaté dans une logique de contrôle que de confiance ! A noter que le « reporting » existe autant en présentiel ou en télétravail ! Il existe des moyens de contrôle importants à distance, que l’on peut utiliser s’ils sont connus du salarié. Télétravail ou pas, l’organisation et le fonctionnement de l’équipe relèvent de l’encadrement. Avec le télétravail, les prérogatives de l’encadrement sont maintenues. C’est l’encadrement qui décide des modalités de mise en œuvre du télétravail faisant l’objet d’un accord dans l’entreprise. Par exemple, si 50 % des équipes est en télétravail, si celui-ci a lieu le mercredi et/ou le vendredi, si le lundi tout le monde est dans l’entreprise, etc. L’accord d’entreprise fixe le nombre de jours de télétravail, les métiers éligibles, les modalités organisationnelles…mais l’encadrement a la main sur l’organisation de son service, de ses équipes et donc sur le déploiement de ce mode d’organisation qu’est le télétravail. Les négociations entre employeur et syndicats ne doivent pas mettre à mal l’encadrement et le fonctionnement des équipes.

E&S: Pouvez-vous préciser ?

Xénophon Vaxevanoglou : Pour les syndicats et l’employeur, le télétravail est une des composantes de la qualité de vie au travail. Cela n’est pas évident. Le télétravail est défini comme un mode d’organisation du travail et comporte des contraintes qui doivent être actées dans les accords. Le salarié télétravailleur n’a pas la liberté totale de s’organiser. Les salariés ne sont pas perdus de vue. Ils doivent respecter l’organisation du travail, à commencer par les horaires. Ils doivent être joignables pendant les heures de travail et utiliser les moyens de l’employeur, respecter la confidentialité et la sécurité informatique. Les contraintes de télétravail sont les mêmes qu’au bureau ! Ce qui se transforme profondément avec le télétravail, ce sont les échanges. C’est important ! Au bureau, la « machine à café » permet souvent de résoudre un problème en 3 minutes. En télétravail, c’est plus compliqué, si la possibilité d’échanger n’est pas anticipée et organisée. Il faut donc une réflexion en amont sur les pratiques managériales et cette organisation. Les jours présentiels obligatoires sont essentiels, car on a besoin du collectif. Le management doit maintenir la cohésion d’équipe.

E&S: Le télétravail n’est pas possible dans toutes les activités ou tous les métiers…

Xénophon Vaxevanoglou : Effectivement. On parle d’activités ou de métiers éligibles. Et donc de métiers ou d’activité exclues. D’où la création de discrimination entre ceux qui peuvent avoir accès à ce mode d’organisation, du fait de leur travail, et ceux qui ne peuvent y avoir accès. Cependant, dans nombre d’entreprises, les activités et les taches éligibles au sein des métiers sont identifiées. Par exemple, le travail administratif ou les tâches que le salarié peut effectuer seul.

E&S: Comment réussir le développement du télétravail ?

Xénophon Vaxevanoglou : L’employeur doit prendre des mesures pour éviter la fragilisation et l’isolement. Il existe des personnes qui ont besoin de solliciter fréquemment le collectif. Le risque principal du télétravail, c’est l’éclatement du collectif ! On voit apparaître des accès au télétravail qui prennent en compte ce risque. Certaines entreprises mettent en place une commission qui statue sur le risque du candidat au télétravail à s’isoler. Le refus de l’employeur est possible. Il doit être expliqué et justifié. Il faut partir de la base : l’employeur et l’encadrement gardent la main sur l’organisation et les modalités du travail. Cependant, il y a un changement de représentation et de rapport psychologique au travail.

E&S: Au-delà des bienfaits du télétravail, peut-on parler de bénéfices pour l’entreprise ?

Xénophon Vaxevanoglou : Tout à fait ! Le télétravail s’associe souvent au « Flex office » et à la réduction des mètres carrés nécessaires. Donc à la réduction des frais généraux. L’enjeu est important. Il y a aussi des gains de productivité, que plusieurs études commencent à évaluer avec précision.  Tous ces gains peuvent être évalués.

E&S: Pour vous, tous ces changements sont donc irréversibles…

Xénophon Vaxevanoglou : Oui, le changement est définitif sur les relations de chacun au travail.  Et sur les relations de travail au sein de l’entreprise. Le travail à distance de la crise sanitaire a constitué un véritable appel d’air. Personnellement, j’ai appris à faire des cours à distance, mais aussi les travaux en groupe. Et cela marche… Les secteurs sous tension sont d’ailleurs des secteurs sans télétravail (hôtellerie, restauration, services à la personne, BTP…).

E&S: Un dernier conseil ?

Xénophon Vaxevanoglou : Grâce au télétravail, on peut organiser la vie autrement… L’organisation du travail est la prérogative de l’employeur et de l’encadrement. Dans nombre d’entreprises, on voit de plus en plus des équipes différentes avec des organisations différentes. Pour les salariés, le télétravail est une possibilité dans le cadre d’un accord au sein de l’entreprise. Il ne faut pas hésiter à se faire accompagner dans une réflexion en amont sur l’organisation du travail, les pratiques managériales, la cohésion des collectifs.

 

Bio Express

Xénophon VAXEVANOGLOU est Docteur en Psychologie du travail et Ergonomie et Ergonome Européen®. Enseignant-Chercheur, il dirige depuis 2002 le Master « Ergonomie Santé et Développement » à l’Université de Lille

Ses années d’expérience, au sein d’entreprises et d’institutions, lui confèrent une expertise de haut niveau et un pragmatisme conséquent, qui s’associent avec agilité dans ses prises de parole et ses interventions.

Membre de la SELF depuis 1992, secrétaire général 2002-2004.

Membre du comité scientifique « Risques psychosociaux » du Conseil général 93, 2012-2014.

Membre du comité d’experts des programmes d’appui scientifique à la protection des travailleurs - Influence des facteurs psychosociaux sur la santé, 1998-2000 et 1999-2003, SSTC - Services du Premier ministre, affaires scientifiques, techniques et culturelles, Bruxelles.

Depuis 35 ans il mène des expertises, interventions, formations dans le champ de la conception, organisation des systèmes de travail et de la santé au travail (Plus de 100 publications, communications et chapitres d’ouvrages sur ces thématiques).

Conduite de projets et facteurs humains, analyse stratégie et politique sociale, ergonomie de programmation et architecturale, accompagnement social des changements, gestion des populations au travail-vieillissement / handicap, organisation et santé / sécurité au travail, risques organisationnels et psychosociaux, stress, violences, harcèlement, diagnostic QVCT, évaluation des risques et prévention.

Conduite de projets de Recherche-Action (Projets CECA - Projets DG5 CEE - Projets MRT - Projets CNAF - Projets INRS, ANACT/ARACT NPdC...).

Développement d’outils et méthodes d’analyses. Interventions et expertises dans le champ des Impacts des transformations du travail sur la Santé au travail.

Missions réalisées en équipes pluridisciplinaires (enquêtes nationales, diagnostics sectoriels, expertises).

 

(Publié dans le N°64 : L'après Covid-19: retour au travail, où en est-on ?) le 13/10/2023