Le « laboratoire » pour l’avenir de la santé au travail
ASTIL 62
En France, plusieurs médecins du travail réinventent leur métier, notamment devant la chute de la démographie médicale. A Calais, dans le secteur de Coquelles, le Dr Grégory Hermel, médecin de santé au travail à l’ASTIL 62 expérimente un fonctionnement qui lui permet d’assurer le suivi de santé au travail de 23 000 salariés. Responsable ressources humaines d’Armatis Nord du site Calais, Laurence Vandenberghe explique comment et pourquoi cette expérimentation apporte une pleine satisfaction au sein de son entreprise. Présidée par Gille Poulain et dirigée par Christophe Geneau, l’ASTIL 62 est-elle devenue un « laboratoire », pour l’avenir de la santé au travail ?
Six questions au Dr Grégory Hermel, médecin de santé au travail, sur le secteur de Coquelles, ASTIL 62
Pourquoi expérimenter une nouvelle organisation et un nouveau fonctionnement ?
J’ai pris mes fonctions à l’ASTIL 62 en 2015. Nous étions 8 médecins du travail équivalent temps plein pour suivre 40 000 salariés. En 2023, nous ne sommes plus que trois médecins équivalent temps plein pour le même effectif. Si nous voulons rendre un service de qualité aux entreprises adhérentes, à coût constant, il nous faut modifier notre façon de fonctionner, voire réinventer nos métiers.
Vous avez tout misé sur le développement des coopérations avec les infirmier(e)s en santé au travail ?
Tout à fait, dans le respect des textes législatifs et règlementaires, qui régissent nos métiers. Sans cette coopération avec les IDEST(1), il nous serait impossible de recevoir les salariés pour leurs suivis individuels de santé au travail dans les délais impartis par la loi. C’est ce principe de réalité qui m’a guidé. Les coopérations et collaborations entre médecins et infirmier(e)s sont d’ailleurs évidentes et essentielles dans de nombreuses spécialités médicales. Quand un de mes IDEST réalise 1 500 visites, ce ne sont pas 1 500 salariés « perdus de vue »…
Tout cela ne s’improvise pas…
Effectivement ! Nous avons commencé à réfléchir dès 2020, et nous sommes en 2024. Les entreprises adhérentes nous mettent toujours sous pression en nous demandant leurs visites médicales et infirmières, afin d’être en règle pour leurs salariés. Aujourd’hui, nous nous y approchons. Pour ma part, je suivais 4 500 salariés en 2015, puis 8 000 en 2018 et 10 000 en 2020 et maintenant 23 000 ! Ces 23 000 salariés sont suivis par mon équipe et sont vus en temps et en heure. Nous commençons même à rattraper les retards accumulés au fil des années.
Comment y êtes-vous parvenus ?
Nous y parvenons progressivement, sans dégrader la qualité du suivi individuel de santé au travail. Cela repose sur trois piliers : la formation, le compagnonnage et le tutorat et, enfin, le management d’équipe. La formation des IDEST est fondamentale. Par exemple, en 2020-21, j’ai personellement formé trois IDEST aux différents risques professionnels et au suivi individuel renforcé (SIR). Ils m’ont d’abord accompagné dans mes consultations. Puis je les ai accompagnés dans les leurs. Aujourd’hui, notre équipe comprend 6 IDEST dont l’un est coordinateur. Je suis en contact quotidien avec lui.
Vous êtes devenu le « manager d’une équipe »…
Oui, et je suis accessible. C’est essentiel ! A la moindre problématique avec un salarié, je reprend la main dans la semaine, car j’ai un créneau pour cela. Les IDEST me renvoient moins de 3 % des salariés vus lors de leurs consultations, qui durent en moyenne 30 minutes. Je consacre aussi une demi-journée par semaine avec l’IDEST coordinateur à revoir les dossiers qui demandent une conduite à tenir immédiate. J’anime également une réunion d’équipe par semaine. Ce fonctionnement permet d’assurer les visites de reprise dans les délais et les visites de pré-reprise dans les 10 jours. Les secrétaires médicales jouent aussi un rôle important pour la fluidité du fonctionnement et le respect de ces délais. Une fois par mois, un point en tête à tête est fait avec chaque IDEST. Tous les trois mois, j’assiste à une vacation d’IDEST, sans jugement mais avec bienveillance. Récemment des questionnaires anonymes m’ont permis de voir si les IDEST font face, sans souffrance, à la charge de travail. Comme vous le voyez, les IDEST ne sont pas tout seuls face aux décisions à prendre. Je suis toujours présent dans le suivi individuel de santé au travail des 23 000 salariés. Les entreprises adhérentes le savent. Les assistantes santé travail participent activement aux liaisons avec les employeurs. Là aussi, j’interviens en cas de nécessité.
Finalement, ne sagit-il pas de nouveaux métiers ?
Oui. Il faut intégrer l’approche du changement dans ces nouveaux fonctionnements. Cela demande un temps d’adaptation et d’évolution suffisant. Rien ne peut se faire du jour au lendemain. Aujourd’hui, les entreprises adhérentes de notre secteur nous font des retours positifs. C’est encourageant !
Un nouveau mode de prestation , très satisfaisant pour l’entreprise et ses salariés
Laurence Vandenberghe, responsable ressources humaines Armatis Nord
« Filiale du Groupe Armatis, Armatis Nord s’est implanté à Calais en 2003 (688 collaborateurs) et Boulogne-sur-mer en 2004 (527 collaborateurs). Spécialiste de la relation client à distance depuis plus de 30 ans, Armatis comprend 11 sites en France, ainsi que des sites en Tunisie, au Portugal et en Pologne. Armatis propose des services dans plusieurs secteurs d’activité : e-commerce, tourisme, transport, énergie, télécom, banque, assurance, santé, grande distribution, administrations publiques, services et industries.
À Calais, la démarche du Dr Grégory Hermel nous offre un nouveau mode de prestation en santé au travail. Nous y avions collaboré lors de la phase projet. Aujourd’hui, nous sommes pleinement satisfaits d’être en mode « run », depuis septembre-octobre 2023. Tout repose sur la mise en place d’une équipe pluridisciplinaire, avec montée en compétences des Infirmières et infirmiers en santé au travail en délégation du Dr Hermel. Cela ne veut pas dire que nous n’échangeons pas avec le Dr Hermel. Bien au contraire ! A Calais, les visites périodiques et les visites à la demande sont donc réalisées par des IDEST sur notre site où nous avons des espaces dédiés au service de santé au travail, à raison d’une vacation par semaine, répartie entre 4 IDEST. Grâce à ce dispositif innovant, des vacations supplémentaires visant à résorber les visites en retard ont été mises en place,
soit 150 visites accumulées sur les trois dernières années. Fin septembre 2024, ce retard sera résorbé. Au sein de l’entreprise, nous savons qu’en cas de problématique particulière, le salarié est vu sans délai par le Dr Hermel. Tout cela s’est mis en place progressivement, après un temps d’échange entre les équipes pluridisciplinaires et l’entreprise. En effet, il était essentiel que ces dernières s’approprient notre organisation et notre environnement de travail avant de démarrer ces vacations,cela facilite nos échanges. En cas d’aménagement de poste, nous savons pouvoir échanger avec le Dr Hermel. Bien sûr, il est notre interlocuteur exclusif en cas de restriction d’aptitude, voire d’inaptitude. Sur un plan global, nous savons aujourd’hui que nous serons en règle sous peu, vis-à-vis de nos obligations légales et règlementaires en matière de suivi individuel de santé au travail. Ce process innovant qui porte ses fruits renforce notre dialogue avec l’ASTIL 62 ».
UNE ACTION ASTIL, PRÉVENTION ET SANTÉ AU TRAVAIL DE CALAIS-BOULOGNE-LE TOUQUET
1- Infirmier(e)s diplomé(e)s d’Etat en Santé au Travail
(Publié dans le N°67 : La subvention prévention des risques ergonomiques) le 03/07/2024