Témoignages
Expérimentation
Un projet pilote autour de la co-exposition tabac et silice
Action Santé Travail (AST) développe un projet innovant de prévention des addictions en milieu professionnel sur le secteur de Lens. Portée par le Dr Alexandra Spahlholz, médecin du travail, et Charlotte Brunez, infirmière en santé au travail, cette initiative vise les salariés du BTP exposés à la silice cristalline et aux risques liés au tabac, une co-exposition qui majore significativement le risque de cancer du poumon.
Une genèse progressive et collaborative
Confrontée régulièrement à des salariés fumeurs désireux d’en finir avec la cigarette, Charlotte Brunez, infirmière chez AST, se sentait plutôt démunie pour leur apporter de l’aide : « Face à un nombre croissant de salariés souhaitant se sevrer du tabac, je me suis rendu compte que j’étais en difficulté pour leur proposer une solution ; j’ai donc formulé l’idée de me former en addictologie pour monter en compétences et pouvoir aider au mieux ces salariés en recherche de solutions », relate Charlotte Brunez.
Avec le Dr Alexandra Spahlholz, un projet a été élaboré et présenté en commission médico-technique (CMT), en lien avec d’autres membres de l’équipe pluridisciplinaire d’Action Santé Travail dont une toxicologue, afin de proposer une intervention ciblée sur le sevrage tabagique tout en intégrant la prévention des risques : « Nous avons opté pour la co-exposition tabac et silice cristalline. Le tabac, parce qu’on a constaté sur le terrain que de nombreux salariés sont fumeurs, et la silice, car c’est une substance à laquelle sont particulièrement exposés les salariés du BTP, elle est présente dans le sable, le béton, le ciment, les briques. En co-exposition, ces deux éléments majorent de façon exponentielle le risque de cancer du poumon », détaille le
Dr Spahlholz.
Grâce à un partenariat avec Hauts-de-France Addictions, une association connectée aux politiques nationales et régionales de prévention des conduites addictives, l’équipe a monté un projet d’intervention ciblée sur le sevrage tabagique, intégrant la prévention des risques liés à la silice. Ce projet a reçu le soutien de l’ARS et a été validé par la direction d’Eurovia, entreprise de travaux publics partenaire, grâce à l’implication directe de son directeur et du chargé de prévention régional. Il a également bénéficié de l’avis favorable du Pr Sophie Fantoni, praticien hospitalier à Lille et présidente de la Société française de santé au travail, qui a encouragé sa valorisation lors des journées Marcel Marchand et du Congrès de la Société française de santé publique, organisé à Lille début novembre.
Une approche fondée sur les sciences comportementales
« Le but de notre projet est d’apporter une approche à la fois individuelle et collective au problème des addictions, dont la prise en charge doit inclure tous les professionnels de santé et particulièrement les SPSTI, dont l’approche est principalement préventive », résume le Dr Spahlholz.
L’intervention, qui devrait débuter en 2026 dans l’entreprise partenaire Eurovia, se structurera donc en deux volets : collectif et individuel. Le volet collectif consistera en une phase d’information et de sensibilisation sur les risques liés à la silice et au tabac, avec des questionnaires sur les habitudes tabagiques et les motivations à l’arrêt. Des ateliers animés par une infirmière et une diététicienne du service complèteront la démarche. Du côté individuel, des consultations seront menées avec une approche motivationnelle, en utilisant le modèle de Repérage Précoce et Intervention Brève (RPIB) : « Cet outil de prévention, à destination des professionnels de santé, vise à repérer les consommations de substances psychoactives à risque chez les usagers qu’ils accompagnent, afin de tendre vers une diminution de la consommation », explique le Dr Spahlholz. Charlotte Brunez, qui souhaitait pouvoir aider les salariés en demande de sevrage tabagique, trouvera dans ce RPIB une première ressource à destination des fumeurs : « Je vais être formée prochainement à cet outil et cela constituera un premier pas. Je souhaite ensuite suivre un diplôme universitaire en addictologie pour aller plus loin dans la prise en charge des addictions », précise-t-elle.
Ce DU, elle le suivra à l’Université de Paris-Saclay et effectuera son stage au centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) de Lens. « L’ensemble de la formation me permettra de développer une expertise solide pour accompagner les salariés dans leur sevrage », espère-t-elle.
Elle participera à toutes les étapes du projet : ateliers collectifs, consultations individuelles et coordination avec les partenaires de soins. « Il faut que les interventions soient vécues positivement, insiste le Dr Spahlholz. La posture motivationnelle des professionnels de santé est essentielle : chaque personne est capable de changer et notre rôle est de l’accompagner sans jugement ».
Des objectifs pragmatiques et transposables
Le projet débutera en 2026 sur une cinquantaine de salariés exposés à la silice et fumeurs actifs. L’équipe prévoit des interventions courtes, d’une heure maximum, sur site, afin de limiter l’impact sur la production tout en garantissant l’efficacité. Les résultats seront évalués à six mois, à l’aide de questionnaires et du suivi de l’arrêt du tabac. Si le projet est concluant, il pourrait être transposé à d’autres entreprises exposées à des substances cancérogènes, mutagènes, toxiques pour la reproduction.
Au-delà du tabac, l’équipe ambitionne de créer une approche globale de prévention des addictions en entreprise, incluant l’alcool, le cannabis et d’autres substances psychoactives, dans le respect du secret professionnel et avec pour objectif le maintien en emploi. Les recommandations récentes de la HAS (juillet 2025) considèrent désormais les addictions comme un risque professionnel, devant être intégrées dans le document unique d’évaluation des risques. L’initiative d’AST illustre comment la prévention, la formation et le partenariat avec les entreprises peuvent se combiner pour améliorer la santé des salariés et réduire les risques liés à leur environnement de travail.
(Publié dans le N°71 : Dehaussy poursuit sa démarche avec l’AISMT) le 17/12/2025

