ANI du 9 décembre 2020

Une fois n’est pas coutume… Pour ce numéro d’E&S, nous avons « interviewé » un texte : l’accord national interprofessionnel du 9 décembre 2020. Signé par le Medef, l’U2P, CPME, la Cfdt, la Cfe-Cgc, Cgt-fo et la CFTC ce texte est un des socles préalables à la réforme1 de la santé au travail, qui sera débattue au parlement en mars prochain. Il est donc très significatif. Il repose sur une option majeure : renforcer la « prévention des risques à la source » au sein des entreprises, en adaptant l’offre de service. Voici des extraits du texte, en réponse à huit questions majeures.

E&S: Quelle est la logique de fond ?

ANI : « Le dispositif de santé au travail en France, à travers ses politiques publiques et institutionnelles, a trop longtemps été centré sur la réparation au détriment d’une approche positive donnant la priorité à la prévention primaire et mettant au centre des préoccupations le développement de la culture de prévention. La qualité de vie au travail, dont la santé et la sécurité au travail sont un des aspects, est un facteur de santé et de réalisation personnelle pour les salariés. Sur le plan collectif, la qualité de vie au travail est une des conditions de la performance de l’entreprise. »

E&S: Cette logique va au-delà de l’approche médicale et médicalisée ?

ANI : « La logique de la prévention primaire poursuit l’objectif de s’attaquer en amont aux causes profondes de ces risques avant qu’ils ne produisent leurs effets. C’est pourquoi, en matière de prévention en santé au travail, au-delà de l’approche médicale et médicalisée, la prévention doit être centrée sur les réalités du travail pour préserver la santé et lutter contre la désinsertion professionnelle. »

E&S: On parle de culture de prévention primaire au sein des entreprises… Et d’évaluation des risques ?

ANI : Elle se définit  «  comme la manière dont les acteurs de l’entreprise se saisissent des enjeux santé sécurité du travail et de leurs implications sur le travail réel. Il s’agit de mettre l’humain au cœur de ces préoccupations. Elle s’appuie sur un dialogue social continu entre l’employeur, les salariés et leurs représentants. Elle trouve des sources dans l’évaluation des risques et ses prolongements dans les actions de sensibilisation et de formation, dans le partage d’expériences et la confrontation d’idées. »

E&S: Et sur le plan des obligations et responsabilités ?

ANI :  « L’obligation de prévention définie dans le Code du travail vise le risque professionnel inhérent à l’activité de l’entreprise et sur lequel elle doit avoir un contrôle. (…) Dans un souci d’incitation à la prévention, il est important que les mesures mises en œuvre par l’entreprise soient réellement prises en compte. Pour ce faire, il est proposé que :

En droit français, le principe retenu est celui de la responsabilité de l’employeur en matière de santé au travail.
Dans ce cadre, les employeurs sont incités par le présent accord à développer des actions de prévention.
Pour rappel, la jurisprudence a admis qu’un employeur et ses délégataires pouvaient être considérés comme ayant rempli leurs obligations s’ils ont mis en œuvre les actions de prévention. »

E&S: Concrètement, le DUERP joue un rôle central et prépondérant ?

ANI : «Le DUERP est l’outil indispensable de la prévention. Il peut faire l’objet d’un accompagnement dans son élaboration et sa mise à jour. (…) Le document unique présente les résultats de l’analyse de risques à partir desquels l’entreprise détermine des actions de prévention pertinentes à mettre en œuvre et identifie les ressources de l’entreprise pouvant être mobilisées dans cet objectif. L’employeur choisit les méthodes les plus appropriées pour inscrire son plan d’action dans la durée et dans une optique de démarche de progrès continu. La branche ATMP offre des modèles de gestion du risque dans la durée bien adapté aux réalités des PME. Les modèles de gestion du risque, normalisés ou pas, ne doivent pas se substituer au dialogue social. Les partenaires sociaux soulignent l’importance que les équipes pluridisciplinaires, notamment des services de prévention et de santé au travail interentreprises, accompagnent l’employeur et les salariés au cours de ces démarches. »

E&S: Traçabilité et numérisation sont des enjeux essentiels…

ANI : « La finalité de la traçabilité est le développement de la prévention primaire. La traçabilité des risques professionnels se fonde sur l’effectivité du document unique d’évaluation des risques. Cette traçabilité doit être facilitée par la conservation des versions successives du document unique. Pour ce faire, les partenaires sociaux encouragent la mise en œuvre d’une version numérisée du DUERP. Les branches pourront proposer un document d’aide à la rédaction du DUERP en vue d’accompagner les entreprises. »

E&S: Selon cette approche, les services de santé au travail interentreprises (SSTI) deviennent donc des services de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI) ?

ANI : « Les SSTI qui deviennent des services de prévention, de santé au travail interentreprises (SPSTI) devront proposer une offre socle minimale satisfaisante aux trois missions suivantes :

  • prévention,
  • suivi individuel des salariés,
  • prévention de la désinsertion professionnelle.

Une mission de prévention est « animée par une équipe pluridisciplinaire interne composée essentiellement d’IPRP, principalement axée sur les actions de prévention primaire, et le cas échéant en relation avec d’autres préventeurs extérieurs s’ils ne sont pas en capacité de répondre. »

Le suivi de l’état de santé au travail des salariés « constitue, avec l’accompagnement en prévention primaire, l’une des pièces maîtresses du service attendu par les entreprises et les salariés et de la prévention des risques professionnels. C’est pourquoi le présent accord propose de nouvelles modalités de mise en œuvre de ce suivi médical, en vue de le rendre effectif et optimal. Une des difficultés constatées aujourd’hui dans la mise en œuvre de ce suivi, réside dans la pénurie de personnels qualifiés, tant médicaux que paramédicaux. C’est la raison pour laquelle le présent accord propose de permettre aux SPSTI de formaliser une offre qui s’appuie sur toutes les ressources médicales disponibles sur son périmètre d’action. (…) A cette fin, le SPSTI s’appuiera parmi les médecins de ville, sur une liste des Médecins Praticiens Correspondants (MPC) volontaires et formés pour assurer une partie du suivi médico-professionnel des seuls salariés relevant de la catégorie des bénéficiaires des visites d’information et de prévention (salariés n’ayant pas besoin d’une surveillance spécifique du fait des risques associés à leur poste).

Pour la prévention de désinsertion professionnelle, « les missions de la cellule PDP du SPSTI seront alors de proposer en lien avec le salarié et l’employeur :

  • une sensibilisation des acteurs à la PDP ;
  • des signalements précoces ;
  • un accompagnement en amont des parties prenantes ;
  • des aménagements de poste ;
  • ou des solutions de maintien en emploi du salarié ;
  • ou des aides au reclassement/reconversion (lien CPF transition).

Pour ce faire, le SPSTI organisera :

  • les échanges entre le médecin du travail, le médecin conseil de la CPAM et le Médecin Praticien Correspondant (MPC) du salarié exerçant en ville, et le cas échéant le médecin traitant, la plateforme pluridisciplinaire de la CNAM ;
  • un travail en commun de tous les acteurs pouvant intervenir dans le domaine : la MDPH, l’AGEFIPH et Pôle Emploi (avec le réseau Cap Emploi), les associations dédiées, etc.
     

E&S: Vers une certification d’une offre socle et le maintien de l’agrément administratif ?

ANI : « Les partenaires sociaux s’accordent pour que les exigences de cette offre socle soient encadrées dans un référentiel d’évaluation pour une certification par tierce partie obligatoire portant : sur l’organisation du service y compris l’activité des professionnels de santé, la continuité et la réactivité du service, la transparence des flux financiers, sur l’effectivité des prestations figurant dans l’offre socle de chacun des services. L’agrément administratif intervient après l’étape de la procédure de certification. L’agrément fera le constat de la réalisation de cette certification. »

Publié dans le N°53 : Télémanagers, télémanagés: comment allez-vous? le 22/01/2021

Biographie express

Un accord national interprofessionnel marque l’aboutissement de négociations entre les syndicats patronaux et salariés représentatifs au plan national et signataires.

Les partenaires sociaux soulignent « qu’un paritarisme dynamique a fait bouger les lignes » :

  • 2004 : rénovation profonde de la branche ATMP, Assurance Maladie.
  • 2006 : Ani « Gouvernance de la branche ATMP sur le plan national et régional.
  • 2007 : Ani « Prévention, tarification et réparation ATMP ».
  • 2008 : Ani « Prévention du stress au travail ».
  • 2010 : Ani « Prévention du harcèlement et de la violence au travail ».
  • 2016-2020 : Plan Santé au travail.
     

Culture de prévention ?

L’ANI définit les déterminants d’une culture de prévention :

  • Une prise en main facilitée par l’entreprise (employeur, salariés, et représentants du personnel) de la prévention des risques professionnels, en s’appuyant tout particulièrement sur le dialogue social.
  • Une réglementation accessible à tous et compréhensible en particulier par les TPE-PME, de manière à être intégrée dans les pratiques professionnelles.
  • Un accompagnement de l’employeur dans l’exercice de sa responsabilité en matière de la prévention des risques professionnels, afin de créer les conditions de la confiance.
  • Mettre en visibilité et en compréhension l’intérêt d’une politique de prévention dans l’entreprise, associant les parties prenantes et conduisant à préserver la santé des salariés.
  • Améliorer la connaissance grâce à la recherche fondamentale et à la recherche appliquée.
     

Prévention des risques professionnels ?

Pour l’ANI, la prévention des risques professionnels recouvre :

  • Les risques dits classiques : physiques, chimiques, biologiques, les contraintes liées à des situations de travail (entreprises extérieures, entreprises utilisatrices), les risques d’accidents.
  • L’usure inhérente à l’activité professionnelle, qui ne recouvre pas toutes les causes de l’usure physiologique, est un axe important à prendre en considération, et particulièrement les situations pouvant conduire à la désinsertion professionnelle, dans un contexte de vieillissement de la population.
  • L’organisation du travail peut susciter certains risques notamment quand elle change rapidement : modification des méthodes de travail, changement des techniques, modification des fonctions des managers. La conduite du changement doit faire l’objet d’une attention particulière. Il est donc de l’intérêt de l’entreprise de mettre en place une méthode de conduite du changement qui permet d’expliquer, d’informer et d’associer les salariés. L’analyse des situations de travail et les retours d’expérience en fin de mise en œuvre sont particulièrement utiles.

1-Proposition de Loi, déposée le 23 décembre 2020, par Mesdames Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean (LREM).