Technosciences et santé: le travail numérisé!

L’acronyme NBIC signifie nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives. Il résume les mouvements en cours, que d’aucuns appellent la « révolution numérique ou digitale », à l’image de la « révolution industrielle » qui caractérisent le XIXe et le XXe siècle. Notre XXIe siècle va vivre de profonds bouleversements. Dans 10 ans, beaucoup d’innovations nous sembleront anciennes, voire désuètes. Car, tout s’accélère !

Technosciences et santé: DE QUOI PARLE-T-ON ?

Société connectée

Nous l’avons connu pour nous-même avec les mails, les mobiles et les réseaux sociaux. On parle aujourd’hui du monde des objets connectés. Les distances ne comptent plus. Le temps et les durées sont revisités…

Nouvelles technologies

Elles n’ont pas fini de nous surprendre : robots humanoïdes industriels ou domestiques, processus robotisés fonctionnant hors présence humaine, impression 3 D, réalité augmentée… Elles concernent autant des sites industriels que notre vie domestique et personnelle. En passant par les activités de services et le commerce.

Big-data et Intelligence artificielle

L’intelligence artificielle est déjà là. Gérant une masse incommensurable de données et ses algorithmes plus rapidement qu’un cerveau humain, elle n’a pas fini de nous surprendre. Car elle apprend toute seule, générant admiration ou angoisse… Et arrive bientôt « l’intelligence artificielle forte », dans notre vie de tous les jours.

Évolution des activités

Aucun secteur n’y échappe : industrie, services, commerces artisanat… Avec la création d’un nouveau secteur : « le numérique ». Aucune activité n’y échappe : médecine et santé, transports et mobilités, art et culture, pédagogie et apprentissage, jeu et loisirs, etc.

Modèle économique et social

Nos repères bougent : travail et emploi, salariat et entreprenariat, mono ou pluriactivités, sciences et économie collaboratives, lien social ou isolement social, autonomie et responsabilisation, accès à la connaissance et l’information, etc. Un nouveau mode de vie en société est train de s’inventer…

85 % DES SALARIES ET 90 % DES CHEFS D’ENTREPRISE ESTIMENT QUE L’USAGE DES TECHNOLOGIES NUMÉRIQUES A EU UN IMPACT POSITIF SUR LEUR QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL.

Nous présentons ci-après cinq indications globales issues de l’enquête Anact, réalisée à l’occasion des Semaines Qualité de la vie au travail 2016. Cette synthèse ne peut se substituer à la lecture complète des résultats, qui nuancent et complètent les réponses en fonction de l’âge, le secteur d’activité et la catégorie socio-professionnelle.
  • Le numérique évoque quelque chose de positif dans votre travail ou votre entreprise…
Oui pour 60 % des salariés 88 % des chefs d’entreprise
  • Le numérique est perçu comme une opportunité…
Oui pour 57 % des salariés 72 % des chefs d’entreprise
  • Ils s’estiment à l’aise avec les technologies numériques…
Oui pour 86% des salariés 93% des chefs d’entreprise
  • Le numérique a eu des conséquences positives sur la possibilité pour les salariés à donner leur avis sur le management et participer aux prises de décisions…
Oui pour 27 % des salariés. 47 % des chefs d’entreprises
  • Ils sont optimistes pour l’avenir de l’emploi en France…
Oui pour 46 % des salariés 52 % des chefs d’entreprise

Enquête réalisée en ligne par TNS SOFRES du 15 mars au 1er avril 2016 auprès d’un échantillon représentatif de 1003 salariés actifs occupés, âgés de 18 et plus et de 205 chefs d’entreprise (ou DRH le cas échéant).
En savoir plus : anact.fr

Technosciences et santé: LE POINT DE VUE DE TOMMY DUBOIS, ergonome

photo T.Dubois Ergonome européen à PÔLE SANTÉ TRAVAIL Métropole Nord, Tommy Dubois est également chargé d’enseignement en ergonomie à l’université de Lille. Ces deux compétences en font un observateur privilégié du monde du travail. Il attire notre attention sur plusieurs points. Autant de réflexion pour l’avenir, en sachant que les transformations numériques sont déjà là.

Le modèle économique…

« Avec l’apparition de plates-formes connectées qui répondent en direct aux demandes, on parle « d’ubérisation des services ». De manière symbolique, deux visions co-existent. Pour les uns, il s’agit d’une régression sociale : c’est la fin des contrats de travail, des horaires, des notions de lieux et de temps de travail, avec une augmentation des travailleurs indépendants. Pour les autres, c’est le développement d’un nouveau modèle centré sur l’économie collaborative : il y a partage et usage plus que propriété, financement collaboratif plus qu’emprunt ».

Et l’emploi ?

« Pour certains la digitalisation menace l’emploi ; pour d’autres, elle le développe. Il est difficile aujourd’hui de prédire le bilan net de l’impact effectif de ces évolutions et innovations. Dans tous les cas, elle revisite les notions de contrats de travail et de conditions de travail. Celles-ci seraient moins physiques et monotones, avec développement de compétences et de santé. Le modèle entrepreneurial serait en pleine expansion. Les métiers de la logistique, de la finance, de la vente sont en pleine mutation. Les plates-formes sont composées de travailleurs indépendants… Ceci percute le droit du travail français et européen. Mais la relation de prestation de service crée de nouveaux liens de subordination, comme vient de le confirmer l’arrêt de la Cour de cassation du 28 novembre 2018 ».

Mon employeur, un algorithme ?

« L’intelligence artificielle peut déterminer la charge de travail, les missions, leurs durées, les horaires, etc. C’est en route avec les plates-formes, les centres d’appel, les banques et la grande distribution. Pour cette dernière, par exemple, le parcours du client est autant observé que géré par le Big-data pour définir les nouveaux modèles d’organisation du travail. L’algorithme peut même être prédictif. Il peut donc remplacer l’humain, en tant que nouveau prescripteur du travail ».

Travail prescrit ou travail réel ?

« Face à l’évolution des formes de prescriptions, une nouvelle course entre la machine et le travailleur se réalise sous le prisme des cadences informatisées du travail surveillées et contrôlées par les algorithmes en temps réel. Le risque est que l’opérateur soit, encore plus qu’aujourd’hui, désapproprié des possibilités de régulations que le travail réel lui impose et qu’il devienne l’exécutant de tâches informatiques qui le forcent à agir sans penser. Cet écart entre le prescrit et le réel, postulat de l’ergonomie, a toujours existé mais prend aujourd’hui de nouvelles formes qu’il est important pour les ergonomes de décrypter. »

Une confiance aveugle ?

« Nous ne pouvons pas avoir une confiance aveugle. Il importe de comprendre ces enjeux pour mieux les anticiper. Comment garantir la bienveillance ? On risque de passer de quelqu’un qui est maître d’œuvre de la structure et de l’organisation, à quelque chose qui est maître d’œuvre des données… C’est un nouveau développement. Une inconnue. Un nouveau monde… ».

Et la santé ?

« On parle de TMS depuis 40 ans et de RPS depuis 10 ans… Quel sera le problème de santé de demain ? La surcharge de traitement d’information avec risque d’explosion mentale ? Par exemple, dans le secteur bancaire digitalisé, le conseiller clientèle gère un flux de données, répond aux demandes par mail ou téléphone. Les personnels d’accueil disparaissent et le directeur est responsable de plusieurs agences. On pense par défaut que le digital allège la charge de travail mais ce sont de nouvelles formes de surcharges de travail qui apparaissent et qui ne sont pas toujours évaluées par les organisations. Une évolution similaire est en cours dans le transport, le logement, le tourisme et l’hôtellerie… Demain, nous aurons peut-être une explosion de burnout ».

Quelle organisation du travail ?

« Si l’algorithme prend le contrôle en temps réel, est ce une responsabilité « machine » ou « manager » ? La question est ouverte… Elle est déjà présente dans les services à la personne : standardisation, traçage, surveillance et évaluation en temps réel. Au détriment des relations humaines. L’outil informatique et ses algorithmes peuvent gérer les charges de travail, la planification, le pointage, l’évaluation… et même la paye ! Une réflexion préalable est essentielle : qu’est-ce qu’on informatise exactement dans le travail et quelle part de l’activité doit rester la propriété du salarié ? Attention : Il y a de moins en moins de régulation spontanée, confiée à l’opérateur. Les risques de maladie, de souffrance et d’accidents sont réels ».

Les normes sociales…

« Elles sont bousculées. Comment appliquer la législation et la réglementation, basées sur le temps et le lieu de travail ? Les « uber-travailleurs » commencent à s’organiser devant le vide syndical actuel. Les syndicats patronaux ne se posent pas actuellement la question. Pourtant, le modèle entrepreneurial et patronal est peut-être en train d’exploser… On avance les concepts d’entreprise libérée, d’autonomisation, de responsabilisation, etc. Mais quelles sont les activités de demain ? Avec quelles organisations ? Quelles tâches ? Les lieux, les espaces-temps n’existent plus… Et il a fallu légiférer sur le droit à la déconnexion ! ».

Et les inégalités ?

« Elles sont déjà là. Il y a les métiers hyper pointus et les métiers précaires. On voit même réapparaitre la parcellisation de tâches peu qualifiées, répétitives et monotones. Par exemple, le « cleaning web » ou « cleaning data ». Il en est de même pour la Gestion électronique des documents (Ged) : ouverture des enveloppes, extraction des documents, retrait des agrafes, numérisation, etc. C’est le retour du taylorisme à l’ère du numérique ! Jusqu’où peut-on aller dans la division des tâches, sans créer des souffrances, des TMS et des désengagements au travail ? »

photo interview

Et l’approche santé travail ?

« Les enjeux sont peu perçus parce que les travailleurs indépendants ne sont pas suivis… Par ailleurs, aujourd’hui le pouvoir de décision est parfois délocalisé mais demain il pourrait être dématérialisé. Comment suivre une entreprise sans espace, que pouvons-nous écrire dans les fiches d’entreprises ? Il nous faut faire évoluer notre regard sur le travail pour passer d’une problématique d’exposition professionnelle à une problématique d’implication professionnelle ! C’est bien plus le « travail dans l’écran » que le « travail sur écran » qu’il faut suivre. L’outil informatique aide à la décision, sans assurer la relation au travail. Il pose une question : en quoi cette révolution digitale permet aux personnes de reprendre la main ? Les transformations numériques actuelles peuvent amener beaucoup d’ouvertures ou bien nous enfermer, avec trop d’informations à traiter et trop d’isolement. Le modèle de demain est-il technocentré ou anthropocentré ? En quoi l’outil informatique sert-il la performance, la santé de l’entreprise autant que la santé du salarié ? Ce sont des questions auxquelles il faudra répondre… ».

(Publié dans le N°46 : Technosciences-santé: le travail numérisé !) le 24/04/2019

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